L'art campanaire

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Les cloches sont des vases d’airain, de bronze, très sonores que l’on sonne à des moments très précis du calendrier religieux et civil. Si, depuis une cinquantaine d’années, les mécanismes électriques et automatiques ont progressivement suppléé puis supplanté les sonneurs dans la majorité des églises, il faut souligner que la Vésubie et l’arc alpin méridional ont vaillamment défendu les sonneries manuelles au titre d’un patrimoine certes régional, mais qui relève plus largement du concept de patrimoine immatériel de l’Humanité au même titre que les langues régionales, les fêtes locales, les carnavals et tout ce qui s’exprime dans une mémoire collective portée par une communauté déterminée et repérable.

La Vésubie en volée

La Vésubie en volée est un projet visant à mettre en valeur la riche diversité des sonneries traditionnelles en pays niçois. Ce projet tintinnabulant est né avec la complicité de Patrick Vaillant, André Carénini, Anne Apicella, Zéphirin Castellon, Elie Roubaudi et tous les sonneurs du haut pays.

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Meunetta, première cloche du carillon itinérant de la Vésubie.

Les actions en faveur des traditions sont globalement bâties sur un même schéma : réparation, inventaire, identification, valorisation, consolidation et développement. Ce sont les directions suivies pendant près de vingt ans dans ce domaine avec le souhait de sensibiliser les institutions et le public à cette pratique plaçant  la Vésubie comme un symbole du renouveau campanaire et plus largement des pratiques vivantes en musiques traditionnelles.

La première édition de la « Vésubie en volée » eut lieu le 17 avril 1992. Elle proposait le carillon itinérant de Douai et ses cinquante cloches, une exposition et permit la rencontre d’une dizaine de sonneurs vésubiens encore actifs. Parmi les temps forts de cette action, il faut insister sur les fontes de cloches sur site. En effet depuis de nombreuses années, les cloches sont fabriquées dans les ateliers d’Hérépian, de Sévrier-le-Lac, de Saint-Jean-Braye, de Villedieu-les-Poêles.

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Zéphirin Castellon et le carillon itinérant de la Vésubie à La Bollène en 2011.

La volonté fut, comme c’était le cas encore avant la Révolution Française, de fondre sur place, les cloches destinées à la Vésubie. Les fondeurs itinérants étaient actifs jusqu’à la Grande Guerre, leur activité était transfrontalière. Les instruments de Bertoldo, Rosina, Scemeria, Gaultier (pour les Hautes-Alpes) sont toujours en place et sonnent vaillamment. Ainsi, la première cloche à être ainsi fondue, Meùnetta (surnom de l’épouse de Zephirin Castellon) vit le jour le 12 avril 1993.[2] Meùnetta et ses trois autres sœurs[3] étaient destinées à la sonnerie ambulante à vocation pédagogique pour faciliter l’apprentissage des sonneries traditionnelles de la vallée aux élèves de l’école départementale de musique.

Ce beffroi ambulant réunit Meùnetta (Sol # ), Juli (Fa #), Galofre (MI) et Marie (LA). Il offre la possibilité de nombreuses démonstrations et cours d’initiation à la technique traditionnelle de sonnerie manuelle : le trehnon (le trenen, le trihoun). Ceci s’explique par le fait qu’on « tire » la corde pour manœuvrer le battant. On peut aussi évoquer le fait que la plupart des sonneries réunissant trois cloches (trihoun), alors que carillon (quadrillon) désigne un ensemble de quatre cloches. Le carillon ambulant étant achevé, l’amicale des sonneurs des Alpes-Maritimes commandait à Claude-Henri Joubert[4] une grande fresque festive qui réunissait un chœur mixte, un récitant, des mimes, un orchestre d’harmonie et naturellement le carillon ambulant de la « Vésubie en volée » ; la cantate « ce que disent les cloches », fut crée le 15 avril 1995 et jouée à une dizaine de reprises. Si l’on dresse le bilan patrimonial de cette opération unique dans les annales campanaires, on doit insister sur le fait qu’en quinze ans quatorze cloches virent le jour en Vésubie et dans les vallées voisines.

Clans, Utelle, Roquebillière, Lantosque, Saint-Martin-Vésubie, Courségoules…autant de clochers que la « Vésubie en volée » a pu « campanairement » augmenter.
 

[2] C’est une fonderie de l’Hérault, Hérépian, qui est venu fondre la cloche.[3] Juli, Galofre et Marie[4] Altiste, il a fait le tour du monde. Il fut directeur du conservatoire d’Orléans puis de l’Institut de Pédagogie Musicale et Chorégraphique de la Villette. Il mène différente mission pédagogique en France.

La cloche
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Gravure sur bois montrant Pythagore avec des cloches, une sorte d'harmonica de verre, et un monocorde (orgue?) Pipes en accord pythagoricien. 

De Theorica musicae par Franchino Gaffurio, 1492 (1480?)

La cloche est connue depuis l’Antiquité, en Grèce, à Rome, en Chine depuis près de 5000 ans. Très tôt l’homme a pu constater les propriétés sonores du bronze qui servait à fabriquer des armes, des bijoux, des objets de la vie courante. Le bronze est un alliage de cuivre et d’étain. La cloche est fondue selon la technique dite « à cire perdue » car on façonne, en cire ou en argile, une « fausse » cloche qui permet de fabriquer le moule et qui sera ensuite détruite. Cette « fausse » cloche est à l’identique de celle définitive qui sera fondue réellement. Cette technique très ancienne se combine avec celle des moules en pierre que l’on a retrouvés au Japon par exemple (époque Ya-Yoï, chalcolithique japonais III-IVe siècle).

Longtemps en Europe les cloches étaient en tôle de fer car cela revenait moins cher (Pyréennes catalanes, Rocamadour, Saint Paul de Léon…). On en retrouve encore à la fin du XIXe siècle en Allemagne et en France. Celle remplacée à Coursegoules en 2009 était en acier. À Marseille, l’église Saint-Mathieu de Château-Gombert et l’ancienne sonnerie des Réformés avaient des cloches Baudouin en fer. Elle est une trace d’archive, une page d’histoire car elle est souvent datée et signée. L’épigraphie campanaire révèle souvent le nom du pape, de l’évêque, du prêtre, du fondeur du ou des parrains, la paroisse de sa destination, la date de fabrication et souvent une maxime, un apophtegme, un verset de l’Evangile, une devise. Ainsi, l’église paroissiale de Saint-Dalmas-Valdeblore, qui compte six cloches, (ce qui est exceptionnel dans la région) possède une cloche de 1501, la plus ancienne du département semble-t-il. Belvédère a la particularité de rassembler trois cloches anciennes de 1671 et 1764. Une pratique était courante par mesure d’économie : quand une cloche se fêlait, on la refondait avec le même métal, ainsi à Saint-Dalmas-le-Selvage la cloche du XIVe siècle fut refondue dans le même bronze au XIXe siècle.

Cette pratique émouvante traduit la pauvreté extrême de la communauté dont les revenus issus de l’élevage et de l’agriculture de montagne n’autorisaient pas de dépenses excessives en dépit de la foi intense que partageaient ces fidèles.

Le langage campanaire

La cloche est le symbole du temps comme peut l’être le sablier que tient l’allégorie de la mort. En effet, elle divise la journée en temps de repos et de travail par la prière que sont les trois Angélus à 8h, 12h, 20h. Ce choix des heures peut changer d’un village à l’autre, mais, avec la course du soleil, c’est un repère que chacun reconnaît. La cloche est alors informative, sonnant les moments de la vie avec le baptême, les communions, les noces, les décès. Selon les formules, on peut même savoir qui est mort (un pape ou un haut personnage politique…). Le tocsin annonce un incendie, une déclaration de guerre. On sonne les grandes fêtes liturgiques, mais l’on s’abstient pendant la semaine Sainte (qui précède Pâques). Pour tous, elle est un repère. Défendre les sonneries manuelles est un réflexe patrimonial. Il vaut certes mieux une sonnerie électrifiée que le silence mais il ne faut pas museler la sonnerie « au trenen » car cela constituerait une perte avérée de la mémoire collective, de la vie d’un village comme si une langue venait à disparaître. En ce sens, il s’agit d’un patrimoine immatériel qu’il importe de préserver. De plus, la configuration du clocher, l’accord des cloches, leur harmonisation a conduit chaque titulaire à trouver son propre « carillon » (entendez par là, l’air exécuté sur les cloches considérées) et à le transmettre oralement à son successeur ou suppléant.

[Pour Zephirin Castellon : « c’est toujours une grande émotion. C’est à chaque fois des souvenirs de jeunesse qui reviennent, ceux de ma vie passée à Belvédère. Pendant longtemps le son qui parvenait du clocher du village avait une importance capitale, il rythmait la vie quotidienne des gens… Quand j’ai eu le droit de sonner les cloches, ça a été une nouvelle aventure, je devenais le patron du clocher et, surtout, je pouvais à mon tour, enjoliver l’air que je sonnais qui ne ressemble en rien  aux carillons électrifiés que l’on entend désormais de plus en plus »[1]]

Mais dans un même clocher, avec un répertoire identique, chaque sonneur a son style, sa façon de « faire chanter » les cloches. On met un nom, un visage derrière ces notes qu’emporte le vent aux quatre coins de la commune. Les coups frappés à la main peuvent être nuancés à l’infini alors que l’impulsion électrique est toujours uniforme. Il existe dans le Sud-Ouest une association très active pour la reconnaissance des spécificités des sonneries manuelles : carillons en pays d’oc, dont le siège est à Pamiers (Aude).

[1] Propos recueillis par Jean-Pierre Lamouroux et publiés en aout 2013 sur le site http// :ciaovivalaculture.com

Croyances et (ou) superstitions

Un certain nombre de cloches sont considérées miraculeuses, elles ont un pouvoir de guérison, une influence bénéfique. Un grand nombre de récits en font état. Dans les Alpes-Maritimes, les Mentonnais avaient l’habitude d’attendre les sonneries de Pâques, celles du retour des cloches après le silence du triduum et de planter des graines de courge afin d’avoir, dit-on, des légumes aussi gros que les cloches.

Une autre tradition, voisine de la précédente, consiste à ouvrir très largement toutes les fenêtres de la maison en entendant tinter les cloches de Pâques revenant de Rome, afin de bénéficier de la sainte bénédiction pontificale dont elles sont les messagères privilégiées. D’autres croyances, dans un souci syncrétique reliant les imaginaires celtes et chrétiens, font tourner les mégalithes (à Draguignan..) au douzième coup de minuit la nuit de Noël, ou pendant le Gloria de la messe pascale (car chacun étant à l’église, personne ne peut vérifier !!)

Les cloches à forme humaine (anthropomorphisme campanaire)
Le vocabulaire descriptif d’une cloche reprend celui dont on use pour le corps : les oreilles (les anses), le cerveau, la tête, le front, la robe, le dos, la panse ou le corps de la cloche, le battant est la langue car il fait parler la cloche. L’ouverture est la gorge, la gueule, la bouche. De plus, la bénédiction d’une cloche avant son installation obéit à un rituel précis défini par un ordre faisant intervenir l’huile des infirmes uniquement utilisée pour le sacrement des malades et la bénédiction (ou baptême comme on dit traditionnellement) de la nouvelle cloche.
Bibliographie et sitographie

Bibliographie

Cloches & Sonnailles, Mythologie, Ethnologie et Art Campanaire, d’Hubert Tassy, ed. Edisud/Adem06, 1996

Sitographie

http://campanologie.free.fr/

http://edmam.blogspot.fr/2011/05/carillon-de-la-vesubie-la-bollene-le.html

http://ciaovivalaculture.com/2014/08/13/les-cloches-de-phirin/

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Chanson Meunetta

30-09-2015