Jacques Audiberti

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Écrivain de grand talent, Jacques Audiberti fut à la fois poète, romancier, auteur de nouvelles, dramaturge, essayiste, critique de cinéma, traducteur, journaliste, peintre…

Introduction
L’œuvre de Jacques Audiberti est dense : 22 romans, une dizaine de recueils de poèmes, autant d’essais, une trentaine de pièces de théâtre, des centaines d’articles publiés dans les plus grands journaux et revues de l’époque (Le Petit Parisien, Coemedia,  la Nouvelle Revue Française, Arts, Les Cahiers du Cinéma…). Né à Antibes le 25 mars 1899, cet homme d’esprit et de cœur, fut l’ami de tous les artistes et intellectuels de la première moitié du XXe siècle. Il est mort le 10 juillet 1965, à Paris. En 1964, il a reçu le grand prix national des Lettres pour l'ensemble de son œuvre ainsi que le prix des Critiques.
Enfance
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Maison natale de Jacques Audiberti, rue du saint Esprit, Antibes

Lors d’un hommage rendu à Audiberti en 1973, le cinéaste François Truffaut qui fut son ami, écrivait : « Audiberti découvrait la vie chaque jour, exactement à la manière d’un adolescent que nous regardons avec émotion faire tout ce qu’il fait pour la première fois ». Ce « colossal enfant » selon l’expression du cinéaste, a posé ses yeux pour la première fois sur le monde, à Antibes, le 25 mars 1899, au 4 rue du Saint-Esprit, « à l’extrême rebord du 19e siècle ». Jacques, Séraphin, Marie, est fils unique. Il vit une enfance paisible aux côtés d’une mère aimante, Victorine, et d’un père, maçon fort en gueule, véritable personnage pagnolesque avant l’heure qui pourtant le terrorise et qu’il mettra en scène en 1964 dans son roman Monorail sous les traits du burlesque oncle Marius. Mais, Louis, son père, est un féru d’histoire et de littérature. C’est sur ses genoux que le futur écrivain apprend à lire. Les légendes des images d’Epinal sont ses premières lectures. Puis viennent les contes que son père améliore et réinvente pour lui, les livres d’aventures qui l’émerveillent et qui l’ouvrent à un monde que le jeune garçon, passionné par les pirates et les mousquetaires, rêve de découvrir. Cette conquête du monde, l’enfant la fait dans les rues d’Antibes, véritable terre d’aventures et terre nourricière. Car entre Jacques Audiberti et Antibes, c’est une longue histoire d’amour qui se tisse au fil des ans.

« Pierres d’Antibes... Antipolis... ville contraire... ville depierre – ville du Rempart, de Septentrion, du Marbre d’Aphrodite, du Port, du sable, du carré des Tours, du Format romain, duCimetière répandu, du poilu de Pierre et de la table de Roch,je suis ton fils »

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Sculpture ornant le lycée Jacques Audiberti, Antibes

Jacques Audiberti suit « d’humbles études » à l’école communale puis au Collège d’Antibes. Une anémie le contraint d’interrompre sa scolarité. Un interlude propice à la création, qu’il met à profit pour s’essayer à la poésie. La poésie… une révélation ! L’apprenti et fougueux poète, passionné par les vers, ne doute de rien. Il propose ses œuvres à Albert Féraud, directeur du « microscopique quotidien de ma ville natale, Le Réveil d'Antibes ». Epaté par son talent et sa précocité, ce dernier le publie et lui ouvre une chronique quotidienne. A 15 ans à peine, Audiberti devient à la fois poète, journaliste et chroniqueur. Fort de son succès, le jeune homme ne s’arrête pas en si bon chemin et envoie directement ses écrits à l’un des plus grands auteurs du moment : Edmond Rostand ! Le père de Cyrano de Bergerac, à la fois impressionné et touché par ce jeune garçon, l’encourage et lui envoie une photo dédicacée qu’Audiberti conservera toute sa vie. Mais son père Louis, en bon terrien qu’il est, ne voit pas d’un très bon œil cette passion subite de son fils pour la poésie. Ecrire est une profession de fainéant qui ne nourrit pas son homme. Et Jacques de prendre pour contre-exemple Victor Hugo. « Tu n’es pas Victor Hugo ! », lui assène son père. La réflexion est cinglante. Jacques, bien obligé de se rendre à l’évidence, renonce à son rêve et, pistonné par son père devenu juge au Tribunal de Commerce, accepte la mort dans l’âme un poste de commis-greffier.

Paris, à nous deux !
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Dessin de Jacques Audiberti

Très vite lassé par une vie étriquée, ne pouvant supporter plus longtemps la vie de Province et certain que son destin se situe ailleurs que dans l’administration, Jacques Audiberti quitte Antibes pour Paris. A 20 ans, ce jeune Rastignac veut tenter sa chance là où Victor Hugo avait tenté la sienne 100 ans plus tôt. Mais dès son arrivée, le jeune poète se sent écrasé. Il n’ose pas s’imposer, se sent illégitime, s’excuse de vivre. Les réflexions passées de son père ne sont pas pour rien dans son manque d’assurance et son repli sur soi. Mais il n’est pas question de faire machine arrière. Le jeune homme doit aller de l’avant. C’est le temps des petits boulots. A défaut de pénétrer les cercles littéraires et de fréquenter les endroits huppés, Jacques se fait embaucher au Journal comme « pigiste ». Il noircit quotidiennement des pages de faits divers. Celui qui rêvait de devenir un brillant poète devient un obscur rédacteur pour la rubrique « chiens écrasés ». Après une année de galère, l’écrivain et poète André Salmon (ami intime de Picasso, d’Apollinaire et de Max Jacob) introduit Jacques Audiberti au Petit Parisien. Mais ce nouvel emploi n’est guère plus intéressant. A 30 ans, Jacques Audiberti passe son temps à battre le pavé et à faire la tournée des commissariats de police de Paris et de la banlieue pour fournir le journal en vols, viols, bagarres, crimes, incendies, accidents… Heureusement, un rayon de soleil vient illuminer sa nuit. Il rencontre, par le moyen d’un collègue du journal, celle qui deviendra sa femme en 1926 : Elisabeth-Cécile-Amélie, une jeune et jolie institutrice créole avec laquelle il aura deux filles, Jacqueline et Marie-Louise.   

Trouvant le temps long pour devenir un grand écrivain, Jacques Audiberti décide de bousculer le destin. Il demande une aide financière à son père afin de publier à compte d’auteur son premier recueil de poésies, L’Empire et la Trappe (1930), aux éditions du Carrefour. « Un recueil de poèmes qu'il n'est pas exagéré de dire aussi extravagant qu'étourdissant », écriera André Pïeyre de Mandiargues dans une préface ultérieure. Influencé par Victor Hugo et Mallarmé, l’ouvrage, qui se veut une géniale moquerie baroque du surréalisme, est salué dès sa parution par les écrivains-poètes Valery Larbaud, Jean Cassou ou Maurice Fombeure.

Seconde naissance

Si ce premier recueil ne rencontre pas le succès critique et commercial escompté, il vaut à son auteur un succès bien plus considérable qui vaut certainement tous les autres : être repéré par le Pape de l’édition française Jean Paulhan, alors directeur littéraire des éditions Gallimard, grand faiseur et défaiseur de gloire, découvreur de talents et lanceurs des grands écrivains de la seconde moitié du 20e siècle (Sartre, Céline…). Ce dernier lui ouvre les portes d’un monde littéraire qui le fascine depuis toujours ainsi que les pages des revues prestigieuses telles que la Nouvelle Revue Française. Jacques fait la connaissance d’André Breton et de ses amis surréalistes. Une seconde révélation ! « Cette rencontre fut ma deuxième naissance ». « Après Verdun, comme grande manifestation de la vitalité française : le Surréalisme. Freud et Picasso ont exalté l’inconscient dans la philosophie et la plastique, André Breton dans la littérature », écrit-il à un ami.

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Portrait de Jacques Audiberti

En 1936, Jacques Audiberti répond à un concours d’écriture théâtrale organisé par le ministère de la Jeunesse et écrit en quelques semaines L’Ampèlour ou le retour de l’empereur, l’histoire des habitants d’un village de Lozère qui croient au retour de Napoléon. Inspirée de ses lectures d’enfance et des aventures que lui racontait son père, la pièce, à la fois historique et personnelle, touche le jury (notamment Louis Jouvet) et reçoit le Premier Prix. Le succès engrange le succès. Après trois ans de misérables piges, Jacques est nommé « grand reporter » au Petit Parisien et signe enfin des articles passionnants sur le Paris insolite. En 1937, son second recueil de poésie, Race des hommes, publié cette fois à la NRF, reçoit le Prix Mallarmé des mains de Jean Cocteau, Léon -Paul Fargue, Paul Fort, Saint-Pol Roux et Paul Valéry.  "Avec Cocteau, Fargue, Paul Fort, Saint-Pol Roux, Valéry fut de ceux qui m'accueillirent, copain compagnon, dans je ne sais plus quel endroit de nappes et d'assiettes, vers la fin de l'année trente-huit quand j'avais des bosses aux genoux de mes pantalons, afin de me décerner un certain prix, le prix Mallarmé. Le montant du prix consistait, surtout, dans cet inestimable rendez-vous avec la poésie française en chair et en os". L’année suivante, c’est son premier roman, Abraxas qui sort également chez Gallimard. Dès son premier roman, Jaques Audiberti se place aussitôt en « poète du divin mystère de la femme », selon l’expression de François Truffaut. « Pour Audiberti, la femme est magique, la femme est suprême. C’est à lui que je pense quand je filme un homme, à son œuvre quand je filme une femme », écrit le cinéaste qui lui rend hommage en 1961 dans un article. Et d’ajouter en parlant de ses romans : « Talent, Monorail, Septième, La Nâ, Le Jardin et les fleuves, tous sublimes mais le plus beau c’est Marie Dubois. La plus forte œuvre consacrée à la femme, toute la femme, la même femme ». Truffaut fut tellement marqué par ce livre qu’il a choisit de donner ce nom à une toute nouvelle actrice qu’il vient de découvrir pour son film Tirez sur le pianiste (1961). Claudine Huzé devient l’actrice Marie Dubois en hommage à l’admiration de Truffaut pour Audiberti. 

Jacques Audiberti a 40 ans quand la guerre éclate. Le reporter du Petit Parisien est aussitôt envoyé à la frontière espagnole. Il écrit : « Je vis la guerre d’Espagne. Je vomis ». Puis c’est l’Occupation. Le Petit Parisien tombe aux mains des allemands. Audiberti, est évincé. Mais les temps sont durs pour un écrivain dont les œuvres littéraires ne rapportent presque rien. Une fois encore, Jacques Audiberti se tourne vers le journalisme. Il devient à la fois critique littéraire pour la revue Aujourd’hui et critique de cinéma pour le célèbre hebdomadaire Comoedia de 1941 à 1943. Audiberti préfère l’émotion à la réflexion. Il n’analyse jamais, il ressent. Il ne décortique pas, il raconte. Sous sa plume d’écrivain, le spectateur l’emporte sur le critique, le cœur sur l’esprit : «Le critique menace toujours le spectateur, ou plutôt lui pend au nez.». Audiberti annonce déjà les futurs critiques André Bazin et François Truffaut qui admireront sa prose et deviendront ses amis. Ne parvenant pas à joindre les deux bouts, Jacques Audiberti accepte malgré tout de collaborer à la NRF sous l’égide de l’écrivain collaborateur Drieu la Rochelle. 

Les années fécondes
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Couverture de la revue Paris Théâtre, 1958

Bien décidé de rompre avec le milieu du journalisme qu’il associe aux périodes difficiles, Jacques Audiberti se consacre entièrement à l’écriture. Les années d’après guerre sont les plus fécondes. En plus des pièces de théâtres et de la peinture qui l’accapare, il écrit un roman par an. L’écriture devient une frénésie, un état second. En parlant de sa pièce de théâtre Le Mal Court (1956), Audiberti écrit : « J’ai écrit en état de transe, comme si  Le Mal Court avait été écrit quelque part dans l’espace et que je n’eusse qu’à recopier ce qui était devant moi et au delà de moi. J’ai dû l’écrire en deux heures … ».

Avec sa pièce Le mal court, Jacques Audiberti devient un auteur à succès dont on parle. Commence alors son « calvaire d'homme de théâtre. J'ai compris que j'écrivais pour le théâtre. Je ne pouvais plus me le dissimuler, puisque mes pièces étaient jouées. Au poète s'est enchevêtré le metteur en scène ». Ses pièces sont plus proches de « l’Opéra parlé » que du théâtre classique. « Les formes théâtrales qui ont joué un rôle dans mon œuvre ne sont pas celles du Théâtre, mais celles de l’Opéra et de l’Opéra-Comique », déclare-t-il. « Si on met bout à bout romans, poèmes, et presque toutes mes pièces de théâtre, je crois en effet que c'est le mot "épopée" qui correspondrait à cela, car les thèmes y sont sommaires, peu nombreux, insistants". Stakanovitch de l’écriture, Audiberti est un écrivain prolifique qui écrit comme il respire : poèmes, pièces, romans, essais, chroniques, traductions, critiques. L’ancien pigiste des chiens écrasés est devenu en quelques années une plume que tous les journaux et toutes les revues s’arrachent : la NRFLa Parisienne, Arts & Spectacles, La Nef… Le tout jeune critique et futur cinéaste François Truffaut qui l’admire, lui ouvre les colonnes des Cahiers du Cinéma et se lie d’amitié avec lui. Comble du succès, en 1961 son ami et réalisateur Jacques Baratier adapte son roman La Poupée au cinéma.

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Plaque commémorative sur la maison natale de Jacques Audiberti, Antibes

En 1964, Jacques Audiberti est atteint d’un cancer de l’intestin. En octobre de la même année son œuvre reçoit le Grand Prix des Lettres. A bout de force, l’écrivain achève à toute vitesse son dernier roman, Dimanche m’attend. Mais las, Audiberti confie : « Je déteste écrire, je déteste ça, ça m'assomme, ça ne sert à rien. Je suis un écrivain du XIXème siècle, de la fin, né en 1899. À cette époque les rapports des écrivains étaient sacerdotaux. Outre la fatigue, la maladie, je souffre ».

Jacques Audiberti meurt le 10 juillet 1965. "Marre ! Marre ! Marre !" sont ses derniers mots.

En 1973, lors d’un hommage rendu à Audiberti, François Truffaut déclarait : « Même après sa mort, je pense qu’Audiberti doit être admiré, mais surtout qu’il a encore besoin d’être aimé ».

Œuvre d’Audiberti

Romans :

Abraxas,1938

Septième, 1939

Urujac, 1941,

Carnage 1942

La Fin du monde, nouvelles1943

La Beauté de l'amour 1955

Le Retour du divin 1943

La Nâ 1944

Monorail 1947

Talent 1947

Le Victorieux 1947

Le Maître de Milan 1950

Cent jours 1950

Marie Dubois 1952

Les Jardins et les fleuves 1954

La Poupée 1956

Infanticide préconisé 1958

Les tombeaux ferment mal 1963

Dimanche m'attend 1965

 

Poésie :

L'Empire et la trappe, 1930

Elisabeth-Cécile-Amélie 1936

Race des Hommes 1937

Paroles d'éclaircissement 1940

Des Tonnes de semence 1941

Toujours, poèmes 1943

Vive Guitare 1946

La Pluie sur les boulevards 1950

Rempart, un poème 1953

Le Sabbat ressuscité 1957

Lagune hérissée 1958

Ange aux entrailles 1964

Poésies 1934-1943  La Pluie sur les boulevards,  Des Tonnes de semence, Toujours 1976

Des Tonnes de semence, Toujours,  La Nouvelle Origine 1981

Le Poète

Théâtre :

La Bête noire 1945

L'Opéra du monde 1947

Théâtre I. Quoat-Quoat, L'Ampélour, Les Femmes du boeuf, Le mal court 1948

Théâtre II. La Fête noire, Pucelle, Les Naturels du Bordelais 1952

Le Cavalier seul 1955

Théâtre III. La Logeuse. Opéra parlé. Le Ouallou. Altanima

La Mégère apprivoisée 1957

L'Effet Glapion, parapsychocomédie 1959

Théâtre IV. Coeur à cuire. Le Soldat Dioclès. La Fourmi dans le corps. Les Patients. L'Armoire 1961

Théâtre V. Pomme Pomme Pomme. Bâton et ruban. Boutique fermée. La Brigitta 1962

Le Mal court suivi de L'Effet Glapion 1962

Cœur à cuire in Jacques

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