L'Atelier Madoura, Vallauris

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Madoura est le nom d’un atelier de céramique créé en 1938 par Suzanne Douly et Georges Ramié à Vallauris. L’atelier Madoura accueille, dès les années 1940 de nombreux artistes. L’atelier Madoura reste célèbre pour sa prolifique collaboration avec Picasso. Il  contribua également par ses propres créations artistiques, à l’évolution et au renouveau de la céramique de Vallauris.

Création de l’Atelier Madoura

Formée à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon entre 1922 et 1926, Suzanne Douly suit les enseignements des sections  de décoration et de céramique. Elle travaille ensuite chez la firme textile Gillet Tahon où elle dessine des modèles de soieries. Elle y rencontre son futur mari Georges Ramié.

Au milieu des années 1930, le couple décide de s’installer sur la Côte d’Azur. En 1938, ils  découvrent Vallauris et la tradition potière du village.

Vallauris et les villages environnants comme Biot ou Vence, sont le lieu d’une tradition artisanale. Des artisans céramistes et verriers perpétuent un savoir-faire qui trouve sa source au début de notre ère. Vallauris est la capitale de cette activité séculaire, et plus particulièrement de la fabrication de poteries culinaires1.

Intéressée par ces ateliers de poterie, Suzanne Ramié décide de s’initier aux techniques traditionnelles auprès d’un céramiste local, Jean-Baptiste Chiapello. Elle achète un vieux four à bois, puis se lance véritablement dans la production de pièces provençales de formes traditionnelles qu’elle réinterprète rapidement de façon très moderne et personnelle, s’inscrivant dans une volonté de renouvellement de la céramique utilitaire et traditionnelle. Elle travaille en collaboration avec Jules Agard, ancien tourneur de l’atelier Massier, dès 1938.

 

Vase, Suzanne Ramié, vers 1955, musée Magnelli, musée de la Céramique, Vallauris © RMN-Grand Palais / Michèle Bellot

Vase, Suzanne Ramié, vers 1955, musée Magnelli, musée de la Céramique, Vallauris

Elle va alors créer avec son mari George Ramié l’Atelier Madoura, né de l’association du nom de ses deux fondateurs « MAison DOUly RAmié ». En 1942, les Ramié installent leur atelier au quartier du Plan à Vallauris dans une fabrique désaffectée depuis  1934.

Surnommée elle-même Madoura par ses proches, Suzanne Ramié est récompensée pour son travail d’une médaille d’or à Nice dès 1942 à l’exposition des Arts et Traditions populaires.

L’activité de l’atelier et ses réussites esthétiques servent d’exemples. En quelques années, une production de céramiques plus fantaisiste et artistique se développe, notamment avec l’arrivée dès la fin des années 1930 et aux débuts des années 1940 de jeunes céramistes, formés à d’autres techniques comme Roger Capron, ou encore André Baud, apportant un nouveau souffle à Vallauris.

Cette nouvelle vague d’artisans va s’orienter vers des recherches plus esthétiques portant de nouvelles tendances artistiques, comme le goût des décors géométriques et l’intérêt pour les motifs et sujets animaliers, posant le premier jalon du renouveau de la céramique de Vallauris.

1. La tradition potière de Vallauris remonte au début de notre ère. A l’époque gallo-romaine, on utilise déjà ses importants gisements d’argile réfractaire. C’est au début du XVIe siècle, époque de la repopulation du village par les familles italiennes venues de Gênes, qu’une importante activité potière de productions de céramiques culinaires voit le jour jusqu’à devenir l’activité principale de Vallauris à partir du XVIIe siècle.

Picasso, la rencontre

Durant l’été 1946, Picasso réside avec sa compagne Françoise Gilot à Golfe-Juan. Il monte à Vallauris visiter l’exposition annuelle « Poteries, fleurs et parfums » relancée après la guerre par André Baud, Roger Capron, Robert Picault et les Ramié.

Au Nérolium, la coopérative agricole du village où se tient  la manifestation, Picasso rencontre les Ramié. Il modèle trois petites pièces de terre cuite, deux petits taureaux et une tête de faune.

L’été suivant, curieux du devenir de ces pièces, Picasso revient à l’atelier Madoura avec une cinquantaine de dessins prêts à être traduits en terre cuite. Il dit aux Ramié « J’ai travaillé toute l’année pour vous ». Les trois pièces de l’été 1946 ont été cuites et précieusement mises de côté.

Picasso, céramiste

Picasso décide alors de se consacrer à la céramique, technique qui lui offre de nouvelles perspectives de création.

Il s’installe à Vallauris à partir de 1948 où il loue la Villa La Galloise. Son activité se répartit entre son atelier du Fournas où il crée sculptures et peintures et l’atelier Madoura pour les céramiques. Picasso connaît la céramique depuis sa tendre enfance ; l’Espagne possède plusieurs grands centres dont l’Andalousie, province de naissance de Picasso, et la Catalogne, sa région adoptive.

Il aborde alors la décoration sur des pièces traditionnelles comme des pichets, des assiettes, des plats, de formes standard, provenant de la production courante de l’atelier. Il redécouvre ces objets, issus de la céramique traditionnelle, qu’il détourne de leur fonction première en utilisant les formes comme supports pour leur offrir une nouvelle destination. Il utilise également des objets moins traditionnels et non destinés à être décorés, comme les éléments utilisés lors des cuissons. Profitant des surfaces courbes que lui offrent les divers récipients pour expérimenter de nouveaux modes de représentation, il réalise aussi de nombreux visages, voire des portraits.

Le travail de céramiste de Picasso ne se limite pas uniquement au décor. Les mêmes objets, sortis du tour du potier, pouvaient aussi être transformés. Il intervient avant que l’argile des poteries ne soit sèche pour évider des formes, les inciser, les tordre, les métamorphosant en animal ou en nu féminin, en faune ou en tanagra. Il dessine aussi  ses propres formes auxquelles le tourneur de l’atelier, Jules Agard, donne corps. Il crée des pièces nouvelles par l’assemblage de divers éléments tournés, tel le vase Gros oiseau visage noir (1951) ou les pichets en forme de chouette.

Il s’initie aux techniques sophistiquées de la céramique comme l’oxyde ou l’engobe, qu’il ne tarde pas à enrichir par la suite de ses propres inventions.

Les « pâtes blanches » sont des céramiques estampées non émaillées qui constituent l’une de ses expérimentations techniques à partir de 1956.

Dans ses céramiques, Picasso exploite son imagerie habituelle, les décors et les formes reprennent des thèmes récurrents de son œuvre : animaux, tauromachie, figures féminines et thèmes mythologiques. Il s’inspire plus particulièrement de certains thèmes et motifs de l’antiquité grecque. Il décore par exemple des « pignates » avec des figures noires, tels des vases antiques. 

Il adapte également un nouveau vocabulaire inspiré du support céramique sur lequel il travaille, pour produire plusieurs natures mortes en relief sur des thèmes alimentaires.

Au cours d’une vingtaine d’années il réalise quatre mille œuvres originales issues de son travail au sein de l’atelier Madoura.  Selon son souhait, certaines céramiques furent fabriquées à plusieurs exemplaires et Madoura en eut l’exclusivité. A partir de 1967, l’atelier devient éditeur de l’œuvre céramique de Picasso.

 

L’atelier Madoura, atelier d’artistes

Même si l’installation de Picasso à Vallauris n’a pas été le premier jalon du renouveau de cette céramique traditionnelle, sa présence est à l’origine d’une véritable émulation artistique. Peintres, sculpteurs, poètes viennent à Vallauris dans les ateliers et manifestent un intérêt, durable ou épisodique envers la céramique.

Plusieurs d’entre eux font chez l’atelier Madoura quelques rares essais ou viennent y travailler plus régulièrement. D’autres ateliers, tel l’atelier du Tapis Vert, ouvrent également leurs portes pour accueillir peintres et artistes.

C’est à Madoura qu’Henri Matisse, près de 40 ans après ses premiers essais à Asnières, retrouve la céramique en mars 1948. Matisse réalise ici quelques rares plats au graphisme noir et à décor de tête de femme ou de fleurs. En 1952, Paul Eluard grave un poème sur une assiette. L’année suivante, Cocteau décore une assiette d’un simple profil, cet essai annonce d’ailleurs la grande période de céramiques qu’il connaitra plus tard à Villefranche-sur-Mer dans l’atelier de Philippe Madeline et Marie-Madeleine Jolly.

Vase sculpté, Marc Chagall, 1952 © ADAGP, Paris

Vase sculpté, Marc Chagall, 1952

Hormis Picasso, d’autres artistes entament à l’atelier Madoura un véritable travail de création autour de la céramique.  Victor Brauner en 1953, à l’occasion d’une convalescence à Golfe-Juan et surtout Marc Chagall. A son retour des Etats-Unis, après un exil forcé au cours de la Seconde Guerre mondiale, Chagall  s’établit dans le sud de la France1 où il s’imprègne de la tradition potière à Antibes,  Biot, Vallauris et Vence. Il découvre le travail de la céramique à l’atelier Madoura. Refusant le principe d’édition, Chagall ne réalisera que des créations uniques.

Chagall recherche à transposer dans la céramique les effets de matière et de lumière qui animent d’ordinaire ses peintures de chevalet. De 1949 à 1972, il réalise plus de deux cent vingt pièces. Il enrichit les formes tournées à son intention dans l’atelier Madoura de motifs variés : animaux, scènes de cirque et sujets bibliques. L’œuvre, riche, reste en grande partie inédite et encore très peu connue. La fragilité des pièces céramiques qui sont toutes uniques au contraire de Picasso, en a souvent interdit la représentation. 

A côté de l’étonnante production des artistes venus travailler dans son atelier Suzanne Ramié continua son travail de céramiste privilégiant sa création personnelle, participant ainsi, au renouveau de la céramique de Vallauris qui connaîtra dans les années 1950, son « Âge d’or » avec l’avènement de grands noms comme Roger Capron, Jean Derval ou encore Roger Collet.

Madoura offrit  à ces artistes un cadre unique, propice à la création, comme l’atteste la prolifique production de Picasso qui travaillera pendant plus de vingt ans au sein de l’atelier.

Suzanne Ramié décède en 1974, un an après Picasso. L’atelier Madoura sera par la suite maintenu par Alain Ramié, fils de Suzanne et George Ramié jusqu’en 2008. Alain Ramié a depuis  confié à la Cité de la Céramique de Sèvres l’ensemble des matrices, plâtres et autres pièces techniques ayant servis à la production de l’œuvre picassienne au sein de l’atelier Madoura. Racheté  par la Communauté d’Agglomération de Sophia-Antipolis, l’atelier dont l’activité de « galerie » a désormais cessé, a depuis ré-ouvert au public. Un projet de création de centre culturel  au sein de l’atelier devrait bien tôt voir le jour.

1. Chagall s’installe à Antibes dans l’atelier « La poterie des remparts ». D’une très grande prodigalité, il réalisera plus de 220 pièces entre 1949 et 1972.

Informations
Horaires et tarifs : 04.93.64.41.74

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