Le château de Valrose et son parc, Nice

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Construit entre 1867 et 1870 par le Baron Paul von Derwies, conseiller du tsar Alexandre II, le château de Valrose et son parc, propriété de près de 10 hectares, constitue l'un des premiers exemples de "folies" architecturales qui s'épanouissent sur la Côte d'Azur à la fin du XIXe siècle. Il abrite aujourd'hui l'un des campus de la faculté des sciences de l'Université de Nice Sophia-Antipolis ainsi que les services administratifs de celle-ci. 

L'épanouissement de la « Folie » architecturale sur la Côte d'Azur au XIXe siècle

Si le concept de « la folie » remonte au XVIIe siècle, il s’épanouit dans les Alpes-Maritimes au XIXe siècle. La « folie » est implantée à la périphérie de la ville. La nature y est encore préservée et les commodités de la ville ne sont pas trop éloignées tandis que l’on se tient à distance de ses potentielles nuisances (insalubrité, promiscuité, bruit…) Dans le jardin ou le parc peuvent se trouver des constructions secondaires variées faisant souvent preuve elles aussi d’originalité .

La « folie » peut se distinguer par une taille importante et donc remarquable. L’aspect pittoresque est renforcé par la forme architecturale, éloignée du classicisme et qui reflète une liberté créatrice de la part de l’architecte et la fantaisie de son propriétaire. Le style éclectique caractéristique du XIXe siècle se prête à de multiples déclinaisons.

Le côté « folie » peut découler du contraste entre l’édifice et l’environnement dans lequel il est placé du point de vue géographique. Ainsi, une architecture mauresque ou moghole ou une villa normande implantée dans le sud de la France.
Dans la mouvance du romantisme la « folie » exprime la personnalité de son propriétaire qui ose dans un parc une création plus originale que celles que l’on trouve sur l’alignement des rues des villes.

Les « folies » suscitent l’intérêt et la curiosité. Luc Thévenon en a récemment sélectionné vingt-six dans un ouvrage qu’il leur consacre. Didier Gayraud en présente une sélection dans Demeures d’Azur. Une telle approche des villas les plus remarquables n’est pas nouvelle puisque Hippolyte Mayrargues écrit en 1877 un ouvrage intitulé, De villa en villa, dans lequel il décrit celles qu’il considère comme les plus belles.

Le britannique Robert Smith précurseur des "folies" de la Riviera

Le premier propriétaire à avoir édifié ce type de villa à Nice est l’Anglais Robert Smith : un ingénieur, colonel de l’armée anglaise qui a fait sa carrière aux Indes. Cette « folie » mérite cette appellation, autant par l’originalité architecturale qu’elle revêt que par son emplacement saugrenu : au sommet d’un terrain rocailleux et dénudé, sur la colline du Mont Boron, qui n’était pas alors encore boisée. Il a dû à grands frais aménager le site et créer des jardins.

D’autres ont suivi comme le baron russe Paul Georgévitch Von Derwies. Ce magnat qui a fait fortune dans l’installation des chemins de fer dans son pays d’origine achète en 1867 un domaine de campagne qui appartenait à l'avocat niçois Rastoin Brémond, dans le quartier de Brancolar pour 210 000 fr. La propriété de Valrose couvre environ 10 hectares. Il fait raser la maison principale et ses dépendances pour faire édifier un château. Il s’adresse à Mickaïl Alexseevitch Makaroff, professeur à l’académie des Beaux-Arts à Pétrograd et David Ivanovitch Grimm, deux architectes russes dont il fera représenter le portrait dans deux médaillons, visibles encore aujourd’hui dans l’escalier menant au théâtre. David Ivanovitch Grimm a travaillé pour le tsar, en particulier à la construction d’une église à Chersonèse, en Crimée, mais aussi à celle de la chapelle commémorative du tsarévitch édifiée à Nice en 1867 dans le quartier de Saint-Philippe, située derrière la cathédrale orthodoxe.

Le rôle joué par Von Derwies dans l’équipement en infrastructures ferroviaires dans son pays lui vaut l’anoblissement par le tsar. Ce qui le rend suffisamment fier pour développer les signes extérieurs d’appartenance à l’aristocratie en choisissant pour résidence la forme du château et en y apposant le blason qu’il a choisi. L’édifice est construit en pierres de taille de la Turbie,  matériau noble et onéreux. La toiture d’ardoise fortement pentue comporte cinq lucarnes allongées. Le style de l’ensemble est un mélange de styles gothique et renaissance. Il tranche sur les architectures traditionnelles de la région.

L'architecture intérieure et extérieure du Château de Valrose

L’architecture intérieure comporte une répartition par niveau qui dispose les pièces de réception, salle-à-manger et salons, au rez-de-chaussée surélevé, et les pièces de la vie privée, chambres et cabinets de toilette, au premier étage. Plus surprenante est l’installation des cuisines au 2ème étage - alors qu’elles sont habituellement placées à l’entresol-  sans doute pour éviter d’être incommodé par les odeurs. Le luxe et le confort de l’époque règnent à l’intérieur avec des boiseries, des stucs et des peintures, dont le plafond peint par le célèbre décorateur Pierre-Victor Galland. Les fenêtres disposent de doubles vitrages.

La salle de concert, pièce maîtresse du Château

La pièce maîtresse du château reste la salle de concert à laquelle l’architecte suisse établi à Nice Bernardin Maraïni a travaillé. Le baron peut recevoir plus de 200 personnes, à moins qu’il ne préfère faire jouer son orchestre seulement  pour lui, installé dans l’unique loge de la salle. En 1887, des travaux sont faits pour transformer la salle en théâtre et y installer une machinerie. Von Derwies fait jouer pour la première fois La vie pour le Tsar, un opéra de Glinka. Les invitations ont lieu les lundi et vendredi et sont souvent l’occasion d’opérations caritatives.

La construction du "Petit Château"

Pour recevoir ses hôtes, le baron fait construire un « petit château » par l’architecte originaire de Cagnes-sur-Mer, Albert Bérenger. Enfin, en 1881, il s’adresse à l’architecte niçois Sébastien Marcel Biasini pour faire construire au domaine une nouvelle entrée monumentale permettant  de relier plus facilement la propriété au boulevard de Cimiez qui va alors être tracé.

Le parc du domaine Valrose et son isba

Le parc est l’objet de tous les soins. Il a été aménagé par l’architecte paysagiste Joseph Carles qui avait travaillé auparavant aux jardins de Monte Carlo. Il comporte plusieurs styles : jardins à la française avec pelouses, bassins et sculptures sur le modèle de celles de Versailles, jardin à l’italienne avec des terrasses, jardin à l’anglaise où on laisse la végétation plus libre et plus foisonnante, jardin à l’orientale avec une palmeraie et même jardin à la Russe. On y trouve une sapinière et une véritable isba décorée d’inscriptions en cyrillique qui a été transportée par bateau toute démontée depuis Odessa pour  remontée à Valrose.

Outre l’isba, on trouve des « fabriques », petites constructions qui agrémentent le parc : une tour qui sert de château d’eau, une fausse ruine romaine, une cave dédiée à Bacchus.  Pour ses enfants, le baron Von Derwies a fait installer un train miniature hydraulique et un village miniature dans une grotte en rocaille.

A peine son château niçois achevé, il fait aussi édifier en Suisse, près de Lugano, le château de Trevano qui dispose également d’une salle de concert. La famille passe l’hiver à Nice puis se rend à Lugano en été, en faisant suivre l’orchestre. En 1881, la famille Von Derwies traverse de terribles épreuves. La fille du baron, Vera, meurt à l’âge de 16 ans. Deux  jours plus tard, Von Derwies décède à son tour. Il ne pourra pas voir la salle d’asile (l’équivalent de nos écoles maternelles actuelles)  dont il avait généreusement financé la construction dans son quartier et qui est n’achevée qu’après sa mort, aujourd’hui l’école Von Derwies.

La vente du Château

Le château est vendu avant la première guerre mondiale à trois banquiers russes Alexis Poutiloff, Grégoire Lessine et Alexis Invanoff pour 25 millions de F, puis revendu au « roi de l’étain » le Bolivien  Simon Patino. Il abrite aujourd’hui le siège de l’Université de Sophia Antipolis et de l’UFR de sciences.

Cette « folie » est aujourd’hui protégée au titre des Monuments historiques. De nombreuses autres ont malheureusement disparu, détruites pour être remplacées par des immeubles résidentiels. 

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