Les fortifications du dispositif Séré de Rivières

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Quelques années avant la mise en place de la ligne Maginot (lire la fiche correspondante), les Alpes-Maritimes avaient connu le dispositif de fortifications « Séré de Rivières ». Mis en valeur ou délaissés, visibles ou bien cachés, ces nombreux édifices sont un élément prépondérant du paysage. Les fortifications sont un élément important du patrimoine architectural de l’Est et du Nord du département des Alpes-Maritimes.

Une géographie complexe

Avec le rattachement du Comté de Nice à la France en 1860, la délimitation de la frontière laisse en territoire italien plusieurs vallons ainsi que la totalité des communes de Tende et de La Brigue. Cette situation pose un problème stratégique pour la défense du département dans la mesure où l’ennemi éventuel disposerait de débouchés faciles menaçant Isola, Belvédère, Saint-Martin-Vésubie, Fontan ou Saorge. D’autre part, le relief moins élevé entre Breil-sur-Roya et la Méditerranée ne constitue pas comme en Haute-Tinée ou en Haute-Vésubie, un obstacle suffisant pour empêcher un assaut durant la saison hivernale : les routes et les voies ferrées desservant la Basse-Roya et la Riviera permettent d’acheminer troupes et canons à tout moment.

Après la défaite lors de la guerre de 1870, ce problème devient source d’inquiétude. La France, affaiblie, créé un Comité de défense qui a pour mission de penser la réorganisation défensive des zones frontalières par la modernisation d’anciens ouvrages mais aussi par la création de nouveaux, en mesure de répondre aux évolutions techniques notamment dans le domaine de l’artillerie.

Nouveau système défensif

Le général Raymond Adolphe Séré de Rivières (1815-95) est chargé de réaliser ce système défensif moderne. Cet ingénieur militaire, surnommé le « Vauban du XIXème siècle », avait révélé depuis plusieurs décennies ses capacités exceptionnelles en matière de fortifications. En 1874, il est nommé directeur du Service du Génie au ministère de la Guerre, avec la mission de structurer la défense des frontières de l’Hexagone. L’occasion lui est donnée de mettre en œuvre sa théorie d’un nouveau dispositif fondé sur un ensemble linéaire de régions fortifiées qu’il présente dans un texte publié la même année, Exposé sur le système défensif de la France. Convaincus, les parlementaires votent une loi et allouent des crédits importants pour la réalisation de ce projet. Et même s’il est relevé de ses fonctions en 1880 à la suite d’une cabale politique contre le service du Génie, le Général Séré de Rivières a pu lancer son programme : à partir de 1874, environ 200 forts, 60 ouvrages secondaires et 280 batteries sortent de terre.

Prenant acte des limites du principe de la « citadelle imprenable » de Vauban, la doctrine « Séré de Rivières » s’appuie sur la construction de rideaux défensifs dont les éléments majeurs sont des forts détachés. Une concentration d’ouvrages verrouille certaines zones afin d’orienter l’ennemi vers des espaces investis par des troupes. Dès lors, fortifications et manœuvres de terrain se coordonnent.

Évolutions permanentes

Les premiers ouvrages sont bâtis principalement en pierre de taille. Entourés d’un fossé protégé par des caponnières, délimités par un mur d’escarpe et, vers l’extérieur, par un mur de contrescarpe, ces forts sont reconnaissables à leur forme polygone. L’entrée se fait généralement par un pont. À l’intérieur du périmètre du fort, se trouvent une ou plusieurs casernes dont les façades débouchent sur des cours intérieures. Les pièces d’artillerie sont disposées au sommet du fort, le plus souvent à l’air libre. Mais, les évolutions permanentes en la matière obligent à d’immédiates modifications, notamment l’apparition en 1883 de l’obus « torpille » qui décuple le pouvoir destructeur de l’artillerie sur les forts. Le Génie a alors recours au béton armé pour les murs et protège l’armement et les magasins de poudre sous l’épais blindage de salles cuirassées. Ainsi, entre la fin du XIXème siècle et la Première Guerre mondiale, ces fortifications seront constamment soumises à ajustements ou améliorations, jusqu’à ce que les progrès de l’aviation notamment ne fassent tomber l’ensemble en désuétude. Il faut désormais se camoufler et s’enterrer, ce qu’envisagera la ligne Maginot à partir des années vingt.

En poste à Nice entre 1862 et 1864, le général Séré de Rivières avait déjà envisagé la protection de la ville tout récemment devenue française. Frappé par la vulnérabilité du département des Alpes Maritimes, il ne cessera de prêter une attention particulière à ce territoire. D’autant plus que dans le courant des années 1870, des signes annoncent une dégradation des relations franco-italiennes. Il y a la militarisation de la ligne de crête de Tende où l’Italie érige six forts, la création des Alpini, corps militaire spécialement créé pour la défense du pays dans cette zone montagneuse, les travaux de la citadelle de Vinadio dans la haute vallée de la Stura tout près de la frontière. En 1881, l’adhésion de l’Italie à la Triple Alliance (avec l’Empire allemand et l’Empire austro-hongrois) vient confirmer cette situation.

Le renforcement des lignes de défense du département s’établit sur plusieurs plans simultanés : le renforcement de la défense de Nice par la construction d’une ceinture d’ouvrages assez proches de la ville ; la fortification du haut pays pour retarder l’avancée ennemie et la militarisation du massif de l’Authion. Ces travaux requièrent le transport de matériaux lourds et encombrants, assumé par les troupes alpines qui développent, pour l’occasion à partir de 1877, un important réseau routier militaire et stratégique de montagne.

Autour de Nice
Premier objectif : assurer la protection rapprochée de Nice en construisant plusieurs ouvrages envisagés par les services du Génie militaire qui seront tous l’objet d’aménagements ou de remaniements peu de temps après leur livraison. Au sommet du Mont Chauve, situé sur la commune d’Aspremont, la construction d’un fort capable de surveiller directement la Baie des Anges est envisagée dès 1877 puis réalisée entre 1885 et 1887. A proximité, le fort de la Drète est construit entre 1879 et 1882 sur la commune de la Trinité. Puis, en suivant la grande corniche vers la frontière, trois ouvrages apparaissent comme de véritables sentinelles face à la mer : le fort Anselme, bâti entre 1882 et 1885 sur les hauteurs d’Eze qui prend dès 1886 le nom de « fort de la Revère » ; le fort Masséna situé sur le promontoire de la « Tête de chien » à La Turbie construit entre 1879 et 1883 et enfin, à plus de 1100 mètres d’altitude au dessus du Cap Martin, le fort du Mont Agel, construit entre 1889 et 1892.
Dans l’Authion
Le massif de l’Authion, véritable forteresse naturelle, fait l’objet d’une prise en compte toute particulière du Génie. Il devient plus accessible par la création de routes stratégiques, notamment le «chemin des canons» qui permet la desserte des casernes de Peïra Cava, du poste de Turini ou du camp des Cabanes-Vieilles. Sa position dominante permet de surveiller la vallée du Caïros et la Roya d’un côté et les abords du col de Brouis et Beuil de l’autre. Trois ouvrages sont construits dans le but de faire de l’Authion une place stratégique de première importance sur la frontière des Alpes. Identiques, les forts de La Forca et de Millefourches construits entre 1887 et 1890, fonctionnent en binôme. Leur puissance défensive est complétée par la construction entre 1897 et 1899 sur l'emplacement d'une ancienne batterie sarde de la Redoute de la des Trois Communes, à l’endroit où se rejoignent les territoires de la Bollène Vésubie, de Breil-sur-Roya et de Saorge. Premier fort des Alpes construit en béton armé, cet ouvrage impressionnant qui culmine à 2080 mètres occupe la pointe stratégique de l'Authion.
Inutilité chronique et renouveau

La génération des ouvrages militaires du dispositif « Séré des Rivières » a marqué durablement le paysage des Alpes-Maritimes. Ces bâtiments robustes et élégants au sommet de massifs plus ou moins élevés n’a pas été pour autant synonyme d’efficacité. Leur apparition dans une période d’importantes évolutions de la technologie militaire avant la Première Guerre mondiale s’est soldée par une inutilité chronique.

Certains de ces ouvrages, réaménagés, seront intégrés à la Ligne Maginot dans les années trente, tandis que la plupart seront fermés ou laissés à l’abandon. Mais par la suite, quelques-unes de ces œuvre architecturales, notamment celles situées sur le littoral, seront utilisées à d’autres fonctions tel le fort du Mont Agel, devenu base militaire aérienne, le fort Masséna transformé en pôle de recherche de haut niveau sur les télécommunications.

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