Le musée Picasso d'Antibes

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Le musée Picasso est installé dans le château Grimaldi à Antibes. Le lieu est classé au titre des Monuments Historiques depuis 1928. Aujourd’hui, outre les œuvres de Picasso, le musée présente une importante collection d’art moderne et contemporain, ainsi que de fréquentes  expositions temporaires.

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Un site historique

Le château Grimaldi a connu au cours des siècles de nombreuses transformations et affectations.

© Canopé de Nice

Vue extérieure du château Grimaldi, musée Picasso d’Antibes

Il fut édifié sur les ruines d’un ancien castrum romain. Au Moyen-Âge, disputé un temps entre les princes et les évêques d’Antibes, le château devint propriété de ces derniers qui y firent bâtir le donjon en 1208. Il servit ainsi de palais épiscopal jusqu’en 1244, lorsque l’évêché fut déplacé à Grasse.  En 1385, il fut cédé à Luc et Marc Grimaldi par le pape Clément VII d’Avignon. En 1608 le roi de France Henri IV en fit l’acquisition, Antibes étant une place stratégique près de la frontière alors située sur le Var. Il devint la résidence du gouverneur du roi jusqu’à la révolution. Devenu alors « Bâtiment national », il abrita d’abord l’administration communale ; puis l’armée en prit possession pour le mettre enfin en vente en 1924.

Grâce à un homme passionné, Romuald Dor de la Souchère, la ville d’Antibes acquit alors le château pour en faire un musée.

Ce professeur de lettres classiques au lycée Carnot de Cannes, passionné d’archéologie, avait entrepris dès 1923 des recherches sur les vestiges de l’occupation ligure et gréco-romaine dans la région d’Antibes. Il était parvenu à rassembler une collection d’objets antiques et de moulages et souhaitait créer un musée pour les présenter au public. Son énergie lui permit de lancer une souscription et de convaincre la ville d’acquérir le château : c’est ainsi qu’il devint en 1928 le premier conservateur du musée Grimaldi, consacré à l’histoire et l’archéologie d’Antibes. Mais dès l’ouverture du musée, il y organisa également des expositions d’art contemporain.

Picasso à Antibes

Pendant la seconde guerre mondiale, Pablo Picasso vivait et travaillait à Paris. Toute sa peinture témoignait alors de son angoisse face à la guerre et au fascisme.

Au cours de l’été 1946, Picasso quitta Paris pour le midi avec sa nouvelle compagne, la jeune artiste Françoise Gilot, d’abord pour Ménerbes, puis pour Golfe-Juan où il louait une petite maison sur le port : après les années de guerre passées à Paris, reclus dans son atelier des Grands Augustins, censuré et privé d’expositions, Picasso a enfin retrouvé sa liberté et sa Méditerranée natale.
Son nouvel amour et ce nouveau cadre inspiraient Picasso, mais il était à l’étroit dans cette maison de l’imprimeur Louis Fort. Lorsque Romuald Dor de la Souchère vint le trouver, Picasso exprima son désir de disposer de surfaces plus grandes pour pouvoir peindre. C’est ainsi que le conservateur lui proposa d’utiliser une partie du musée comme atelier. Picasso, enthousiaste, investit les lieux avec un projet de peintures murales, et à la mi-septembre 1946 il installait son atelier au second étage du musée, dans la grande salle de l’aile sud, où il travaillerait avec Françoise.

Un lieu et un moment de la création de Picasso

Ce séjour au musée Grimaldi a été une période de travail intense pour l’artiste.  En repartant à la mi-novembre pour Paris, Picasso laissa la plus grande part de sa production.

La visite du musée permet ainsi une expérience rare et précieuse : découvrir les œuvres de Picasso sur l’endroit de leur création, et sentir ce qu’il a capté de ce lieu dans son travail : d’abord la simplicité architecturée, austère et lumineuse du château Grimaldi dans Nature morte à la bouteille, à la sole et à l’aiguière, puis la mythologie méditerranéenne, les repas de fruits de mer, les fruits du midi, des personnages aussi, marins et marchande d’oursin. Picasso a donc réalisé au cours de son séjour au château Grimaldi, une œuvre profondément méditerranéenne.

Entouré des vestiges archéologiques évoquant le passé de la cité d’Antipolis, Picasso est comme saisi d’antiquité : « chaque fois que j’arrive à Antibes (…) je suis repris par cette antiquité ». C’est d’ailleurs au cap d’Antibes, en 1920, que l’œuvre de Picasso s’est emparé pour la première fois d’un mythe antique, Nessus et Déjanire. Il poursuivra ce dialogue avec l’antiquité, notamment dans les années trente au travers du thème du minotaure, une figure où se mêlent violence, désir, mais aussi douleur et solitude, et qui va peu à peu s’humaniser, s’adoucir pour laisser place au faune.

La joie de vivre, Pablo Picasso, 1946 © Succession Picasso 2020 © Musée Picasso d'Antibes

La joie de vivre, Pablo Picasso, 1946 © Succession Picasso 2020 © Musée Picasso d'Antibes

Dans la suite Antipolis de 1946, dont la Joie de Vivre est l’élément central, évoluent trois personnages de la mythologie antique, le centaure, le faune et la nymphe. Dans une atmosphère arcadienne, ils partagent la musique et la danse, la vie quotidienne au bord de la mer avec le repos ou la pêche, des échanges amoureux.
Le travail de Picasso est imprégné des événements de sa vie, ainsi parfois que de l’histoire collective. C’est le cas de ces œuvres antiboises qui évoquent le bonheur partagé avec Françoise, enceinte de leur fils Claude, mais qui chantent également la joie et la liberté partagée par tous, retrouvées après les terribles épreuves de la guerre ; Picasso unit deux univers, celui de l’antiquité, intemporel, avec l’exploration du thème classique de la Bacchanale, et le présent, celui de la paix, de son nouvel amour, d’un été d’après guerre passé au bord de la Méditerranée.

L'inspiration méditerranéenne
Pablo Picasso dans le château Grimaldi, Antibes, 1946. Photo Michel Sima © Bridgeman Images © Succession Picasso 2020

Pablo Picasso dans le château Grimaldi, Antibes, 1946. Photo Michel Sima © Bridgeman Images © Succession Picasso 2020

C’est également en s’inspirant des produits débordants des étalages de poissons ou de fruits de mer, qu’il dégustait aussi au restaurant sur le port, qu’il a évoqué encore ce bonheur de l’après-guerre. Il réalisa ainsi une série de natures mortes qui sont autant de repas méditerranéens, et sont imprégnées du goût retrouvé des soles et murènes accompagnées de citron, des poulpes et des seiches, enfin des oursins. Ces derniers sont caractéristiques de la période antiboise : simplifiés, transformés, représentés sous différents angles, Picasso les fait figurer le plus souvent en triades évoquant les trois signes stellaires.
Il a trouvé une autre source d’inspiration dans la vie quotidienne de personnages rencontrés à Antibes ou à Golfe-Juan  lorsqu’il se rendait sur le port pour déjeuner, figures locales liées elles aussi à la méditerranée : les pêcheurs et la marchande d’oursins, que l’on retrouve par exemple dans Le Pêcheur attablé ou le Gobeur d’oursins
Une autre série de natures-mortes, dont la lecture est rendue plus difficile par la géométrisation des objets et par leur transformation, ainsi que trois nus, s’ajoutent à cette collection où s’invitent également des animaux, chèvres et chouette, d’une antique simplicité.

Le château fut un cadre extrêmement stimulant pour Picasso, conscient de travailler dans, et peut-être pour, un musée. Il prolongeait ses heures de travail jusqu’au soir grâce à deux projecteurs de cinéma loués aux studios de la Victorine à Nice, que le photographe et sculpteur Michel Sima avait installés pour lui. C’est grâce à ce dernier que le musée peut présenter le témoignage inestimable des photographies qu’il prenait régulièrement de Picasso dans l’atelier d’Antibes.

Ulysse et les sirènes, Pablo Picasso © Succession Picasso 2020 © musée Picasso, Antibes

Ulysse et les sirènes, Pablo Picasso © Succession Picasso 2020 © musée Picasso, Antibes

Lorsque qu’il s’installa dans la grande salle au second étage du château, Picasso souhaitait peindre sur les murs. Il réalisa ainsi Les clefs d’Antibes. Très vite sans doute, il s’aperçut que l’humidité des murs empêcherait une bonne conservation de son travail.L’artiste dut donc opter pour un autre support. Mais en cette période d’après-guerre, les restrictions et la pénurie étaient encore très fortes et les matériaux pour artistes, châssis ou toile, peinture fines, manquaient sur la côte.
Il lui fallut donc chercher sur place supports et peintures disponibles. Il avait déjà expérimenté la laque industrielle Ripolin en 1912. C’est avec ce type de peinture oléorésineuse, trouvées à la droguerie de la Marine près du port d’Antibes (elles permettent de peindre entre autres les bateaux) qu’il va peindre à Antibes, dans une gamme restreinte de couleurs.

Quant aux supports, le choix de Picasso est particulièrement adapté : plaques de fibrociments, proches de la matière du mur, permettant en les assemblant de peindre sur de très grandes surfaces, et contreplaqués marine. Il a trouvé également dans les réserves du musée quelques anciennes peintures sur toile plutôt médiocres, qu’il recouvrit et réutilisa pour le Gobeur d’oursins ou les natures mortes aux fruits de mer.

À la suite de son séjour au musée, l’artiste laissa en dépôt à la ville d‘Antibes 23 peintures et 44 dessins. En septembre 1947 furent inaugurées les premières salles Picasso au premier étage du musée. L’artiste réalisa pour l’occasion l’œuvre monumentale, Ulysse et les sirènes. En 1948 il donna encore au musée 78 céramiques originales réalisées à l’atelier Madoura à Vallauris, puis plus tard deux grandes sculptures datant de 1931. En 1966, le musée prit officiellement le nom de Musée Picasso.
Son amie Marie Cuttoli a enrichit considérablement la collection de gravures et de tapisseries et, à la suite de la seconde dation, en 1991, 22 œuvres nouvelles ont été déposées par l’état. Aujourd’hui le musée Picasso détient près de 250 œuvres de l’artiste.

Des œuvres d'autres artistes
Le Concert, Nicolas De Stael, 1955 © ADAGP, Paris, 2015

Le Concert, 1955, huile sur toile 350 × 600 cm, musée Picasso

Le musée présente également une importante collection d’art moderne et contemporain commencée en 1951 par Romuald Dor de la Souchère et représentant de grands courants de l’art des XXe et XXIe siècles. Le musée possède notamment des œuvres du peintre Nicolas de Staël, témoignant de son passage à Antibes, dont son œuvre ultime, Le Concert. En 2001, une donation de la Fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman permit l'ouverture de deux salles qui leur sont consacrées, au rez-de-chaussée du musée.

La terrasse des sculptures présente plusieurs œuvres de Germaine Richier, auprès d’une colonne de Bernard Pagès, d’une installation d’Anne et Patrick Poirier ou encore de La déesse de la mer de Juan Miró.