Le Corou de Berra et le chant polyphonique des Alpes-du-Sud

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En 1986, à Berre-les-Alpes (06), un groupe de passionnés de chant polyphonique des Alpes-du-Sud crée le Corou de Berra. Cet ensemble vocal devient alors professionnel, donne des centaines de concerts dans toute l’Europe, édite de nombreux disques récompensés par tous les médias, participe à des projets artistiques innovants, et lance des passerelles vers tous types de musique (jazz, classique…). Aujourd’hui, le Corou de Berra est devenu ambassadeur d’une Culture et d’une Région.

Qu’est-ce qu’un chant populaire ?

Deux méthodes de chant cohabitent dans nos régions. Il y a tout d’abord le chant populaire, utilisé par une grande majorité de chanteurs, d’Edith Piaf à Mick Jagger, des Muvrini aux chanteurs traditionnels. Celui-ci utilise des techniques de chant ne nécessitant pas un apprentissage codifié. Chaque chanteur développe une technique qui lui est propre, pour aboutir à autant de timbres spécifiques que de chanteurs. C’est le contraire de l’uniformisation.

La seconde méthode est le chant classique, dit aussi lyrique, ou bel canto. Il est enseigné dans les conservatoires et les écoles de Musique et demande une étude spécifique. Il permet d’arriver à un « placement de voix » bien particulier, une technique d’émission du son qui est nécessaire à l’interprétation des œuvres du répertoire classiques. Cette technique permet en théorie de chanter sans fatiguer les cordes vocales.

Chaque méthode a ses défenseurs.

Les polyphonies des Alpes-du-Sud, un chant Méditerranéen
Le chant polyphonique des Alpes-du-Sud fait partie de la grande famille des chants de la Méditerranée. Des siècles d’échanges sur cette mer ne pouvaient que marquer fortement cette expression artistique. La proximité de la Corse et de la Ligurie ont définitivement et depuis des siècles donné au chant des Alpes du Sud un coté méditerranéen très affirmé.
Les langues dans lesquelles s’exprime ce chant

Le Français est inexistant dans la somme de chants traditionnel des Alpes du sud recueillie à ce jour, qui forme le socle du répertoire.

Plusieurs langues cohabitent.

  • Le Niçois
  • Le Provencal Alpin, dit Gavot
  • Le Provencal
  • Le Piémontais
  • Le Ligure
  • Le Mentonais
  • L’Italien
  • Le Monégasque
  • Le Latin

Ces langues ont en commun une origine romane, et une musicalité intrinsèque. En effet, toutes reposent sur la présence d’accentuations à l’intérieur même des mots. Un accent mal disposé peut changer le sens même du mot. Cela donne à ces langues une musicalité qui n’a pas d’équivalent. La façon de parler, de « colorer » les textes français sont une des raisons du succès de chanteurs comme Francis Cabrel ou Claude Nougaro.

Si toutes ces langues, minoritaires, anciennes, existent encore dans les mémoires de beaucoup de gens mais aussi dans le langage quotidien au travers de mots ou d’expressions, elles ont du mal à résister à l’uniformisation et au rouleau compresseur des langues actuellement fortes ! Dans mes écrits, j’utilise souvent le mot Patois pour désigner les langues qui composent ce répertoire. Le mot Patois n’est absolument pas péjoratif, et c’est ainsi qu’on les définissait dans mon enfance.

Le chant sacré

Parallèlement au chant populaire profane, la « Musica de gleia » (musique d’église) a une vie très dense. Ce chant qui utilise les textes du chant sacré liés à l’office s’exprime en latin même si on en trouve cependant quelques-uns en Patois.

Il utilise les timbres liés au chant traditionnel. C’est la métrique des paroles en Latin qui en induit le rythme. On se trouve ainsi face à des formules rythmiques très étranges, qui n’ont rien à voir avec nos découpages conventionnels. Ces mots, leur sens, leur déroulement, la ventilation nécessaire à leur chant contribuent à mettre le chanteur dans un état second.

Ce chant est si populaire qu’il se chante volontiers à l’extérieur des églises, parfois même « au Festin » (fête votive dans les villages). Ceux qui pratiquent ce répertoire sont les meilleurs chanteurs et chanteuses de la région, et prennent pour l’occasion le nom de chantre. Ce titre leur confère une notoriété locale importante.

L'harmonie

L’harmonie est l’art de faire cohabiter des notes ensemble et dans la musique traditionnelle des Alpes-du-Sud, deux types d’harmonie cohabitent.

  • Le premier est exprimé dans les manuscrits de musique sacrée recueillis à ce jour. C’est un curieux mélange de mélodies grégoriennes sur lequel viennent se greffer des parties harmoniques souvent inattendues et originales où la personne qui a noté donne libre cours à son imagination. L’harmonie de ces manuscrits est parfois plus « classiques », avec des emprunts à des œuvres connues, incluant une écriture contrapuntique. Chaque manuscrit a une originalité propre, il est difficile de mettre en évidence une unité, un courant.
  •  Le second type harmonique traditionnel est le plus répandu et le plus codifié. Il se compose en général de trois voix.

La prima est la mélodie. C’est la voix principale, qui nécessite une grande stabilité et une bonne connaissance des paroles (et des différentes versions d’une même chanson). C’est la voix qui donne en général le tempo.

La scounda est une voix d’harmonie qui évolue généralement à la tierce. Elle peut se situer soit au dessus, soit au dessous du chant.

Enfin, al bas est une voix plus grave, qui chante aussi les paroles. C’est une basse harmonique qui suit les accords induits par les chants et contrechants.

Tempéré, non tempéré

Pour pouvoir jouer dans toutes les tonalités, les instruments à clavier sont assujettis au tempérament égal, c'est-à-dire que l’on divise l’octave en 12 demi-tons égaux. C’est ce que l’on appelle le mode tempéré. C’est pratique, mais cela ne sonne pas comme le système pythagoricien, qui lui, utilise les divisions naturelles, c’est le mode non tempéré. Il y a donc plusieurs manières de découper l’octave.

Il faut en préambule préciser que le chant traditionnel est toujours non tempéré. Ce sont les intervalles naturels qui prédominent, et s’ajustent d’instinct et le plus rapidement possible. Cela nécessite évidement une grande qualité d’écoute de la part des chanteurs.

Le chant polyphonique des Alpes-du-Sud est ainsi un échange continuel à l’image de ce qui l’a construit au travers de ces siècles en Méditerranée.

Les timbres dans le chant traditionnel des Alpes-du-Sud

Les notes droites et justes sont difficiles à produire. La tessiture d’un chanteur est habituellement de deux octaves. Sur ces deux octaves, nous ne sommes à l’aise que sur quelques notes. Pour pallier à ces difficultés, les différentes formes de chant ont inventé des moyens pour rendre les notes difficiles plus accessibles. Dans notre chant traditionnel, la solution est la production d’harmoniques.

L’émission d’un chant riche en harmonique enrichit le son, augmente la portée, élargit le spectre. C’est aussi un palliatif à un manque de justesse, car les chanteurs le savent bien. Plus on produit d’harmoniques, moins on donne la note. Les chanteurs ne cherchent pas à utiliser les résonateurs habituels (gorge, tête, nez …). La voix est plutôt projetée à l’extérieur. La résonance et le particularisme de ce chant sont alors créés par la somme de ces voix.

Le son produit est le plus droit possible, sans vibrato. Cette linéarité du son et les timbres riches en harmoniques produisent un phénomène étrange, dit Quintina. La Quintina est une note « angélique » que personne ne chante, mais qui s’entend et se forme souvent au dessus du groupe de chanteurs. C’est un des aspects magiques de ce chant. Elle disparaît avec le vibrato, avec la sonorisation, mais peut s’entendre sur un enregistrement.

Liens utiles
Le site Internet du Corou de Berra : http://www.coroudeberra.com/

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02 Si laude Maria

22-09-2015