L'École de Nice

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A Nice, entre 1950 et 1975, émergent des avant-gardistes, qui s'inscriront autour de trois mouvements phare, le Nouveau Réalisme, Fluxus et la Peinture Analytique -Supports- Surface et le Groupe 70.

Qu’est-ce-que l’École de Nice ?

Il n’existe pas d’Ecole de Nice à proprement parler, mais une « aventure » niçoise d’artistes d’avant-garde, nés, vivant et travaillant sur la Côte d’Azur. Cela permet de façon pratique de regrouper ces plasticiens sous un terme générique. Jacques Lepage, poète et critique d’art écrit en 1977 : « Ce terme n’a pas d’autre valeur et à peine plus de spécificité que ceux d’Ecole de New-York ou d’Ecole de Paris ».

Le vocable Ecole de Nice apparaît d’ailleurs en 1960 dans la forme interrogative, sous la plume de Claude Rivière, qui pose la question dans la revue Combat : « Y a-t-il une Ecole de Nice? ». Puis en 1961, on le retrouve dans un article des Lettres Françaises par Jacques Lepage. Dans son caractère subversif, l’Ecole de Nice reste un phénomène unique, subversif dans sa créativité comme dans son opposition à l’hégémonie parisienne.

L’émergence de nouveaux mouvements artistiques

Dans la première moitié du XXe siècle, la Côte d’Azur est le lieu de repos et de création tardive des grands maîtres de ce siècle qui avaient trouvés la sanction du succès ailleurs. Attiré par la lumière méditerranéenne, la beauté de la côte et de l’arrière-pays, Renoir y peint, ainsi que Chagall, Dufy, Léger, Magnelli, Matisse, Picasso et bien d’autres encore. Leur présence explique la forte concentration de musées prestigieux qui font une bonne part du patrimoine culturel et artistique de la région. En revanche, ils n’auront pas de rôle catalyseur pour la nouvelle génération artistique qui apparaît dans les années 1950.

A ce moment là, dans la capitale, l’Ecole de Paris est devenue obsolète. L’Europe et les Etats-Unis sont dominés par l’abstraction lyrique qui s’essouffle.

A Nice, entre 1950 et 1975, apparaissent des avant-gardistes, comme un phénomène de vagues successives, présence insolite si l’on considère la situation culturelle provinciale française dans la période concernée.

Ces artistes niçois furent actifs autour de trois mouvements phare : le Nouveau Réalisme, Fluxus et la Peinture Analytique, supports - surface et le Groupe 70.

Dans cette mouvance, des individualités n'appartenant à aucun groupe s'imposent par leurs réalisations. Elles expriment diverses influences tout en constituant une communauté d'esprit.
 Après quoi, au fur et à mesure que s'installe la décentralisation officielle, la situation a tendance à se normaliser. Il n’y a bien sûr aucune raison pour qu’il n’y ait plus, après, d’artistes remarquables, mais ni plus ni moins qu’à Marseille ou Toulouse.

Les Nouveaux-Réalistes niçois
Dès 1947, Yves Klein rencontre le poète Claude Pascal et, deux semaines plus tard, Armand Fernandez -dit Arman- puis Martial Raysse. Les trois Niçois s’accordent à dire la qualité de leur rencontre, « la joie  ensoleillée » dans laquelle ils vivaient à ce moment là. Yves Klein rencontre le jeune critique d’art Pierre Restany. C’est ainsi que devait naître le Nouveau Réalisme. Le 26 octobre 1960, une déclaration constitutive - Nouveau Réalisme : Nouvelles Approches du réel - est signée entre Arman, Klein, Spoerri, Hains, Villeglé, Dufrêne, Tinguely, Niki de Saint Phalle, Rotella, César, Christo, Deschamps. Dans la société de consommation des années 1960, les Nouveaux Réalistes vont s’emparer de l’objet à la fois comme image totémique de notre environnement quotidien, constat d’une réalité, mais aussi comme illusion, déclencheur de l’imaginaire du spectateur, paradoxe de ses fonctions dans ses associations. Le ready-made de Duchamp voulait marquer la fin en soi de la peinture. Ici, l’objet sert un art populaire, réaliste par sa motivation et sa destination.
Fluxus à Nice 

En 1958, Ben ouvre, au 32 rue Tondutti de l’Escarène, son Laboratoire 32 où se mêlent disques et livres d’occasion. Pour attirer le regard des passants sur son magasin et toujours à la recherche du choc, il recouvre la façade d'une accumulation d'objets hétéroclites. Il y montre tout ce qu'il y a de nouveau en art à Nice et dans la région. « J'avais pour principe très simple d'exposer tout ce qui me choquait, tout ce qui me paraissait contenir de la nouveauté » (Ben). Cette boutique qui prendra le nom de Galerie Ben Doute de tout, sera par la suite vendue comme œuvre d’art à Beaubourg. Théoricien mais aussi plasticien, incisif vis-à-vis des redites picturales mais ouvert à toutes les nouveautés, il sera le médiateur de tous ces jeunes artistes à la recherche d’une nouvelle expressivité artistique.  Ben signa tout, car l’art est dans l’intention, le geste créateur. Ben sut fort bien, en se mettant en scène, faire du personnage de l’artiste, avec son culte de l’égo et de la signature, une caricature outrée et, par le biais du langage, présenter l’art comme un ressassement perpétuel.

C’est dans sa boutique que prirent corps une foule de vocations artistiques, parfois ludiques, aussi diverses que déroutantes.  La boutique La Cédille qui sourit, créée en 1965 par Robert Filliou et Georges Brecht à Villefranche-sur-Mer, sera un autre lieu de ralliement.

Ben rencontre George Maciunas à Londres et, en 1963, ils sont, avec Georges Brecht, Robert Filliou, Robert Erébo, Marcel Alocco, Serge III Oldenbourg, les protagonistes du mouvement Fluxus à Nice. Ce mouvement se caractérise par la fusion de différents modes d’expression liés à Marcel Duchamp et au Dadaïsme, ainsi qu’à la musique expérimentale. Quand l’attitude elle-même devient objet d’art, Fluxus pose de façon radicale le problème des limites de l’art et des genres, en démontrant que « Tout est Art » ou bien « Qu’il n’y a pas d’Art ». Les manifestations (happenings, théâtre, actions, concerts…) et l’esprit Fluxus sont à la fois plein d’agressivité ironique, d’anticonformisme et d’humour poétique. 

Support-Surface et Le Groupe 70

En 1964, Claude Viallat, nîmois d’origine, devient professeur à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs et s’installe à Nice. A ses côtés, Marc Devade, Daniel Dezeuze, Noël Dolla, Bernard Pagès, Patrick Saytour et André Valensi constituent le groupe Support-Surface. Après la démarche extrémiste du groupe parisien B.M.P.T. (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni), le groupe Support-Surface naît dans le contexte politique, social et idéologique de l’avant et après 1968. Dans l’effervescence des discussions théoriques, ces jeunes créateurs vont reposer le concept de la peinture d’une façon absolue. C’est dire combien Nice est, plus que jamais, le creuset générateur de nouvelles recherches et d’expériences. Le propos des supports-surfaciens vise notamment la remise en cause du tableau de chevalet, par la « déconstruction » de ses éléments constitutifs : couleur, support, toile, geste. Désertant les lieux publics d’exposition, avec la volonté de désacraliser l’art et de l’insérer dans la vie quotidienne, ils investissent les sites les plus inattendus : campagnes, plages, rues de villages dans l’arrière-pays niçois, à Coaraze par exemple. Sur fond de divergences politiques, Supports-Surface se dissout en tant que groupe dès 1971, chacun poursuivant sa propre voie.

Mais dès 1970, une exposition du groupe InterVENTION, créé par Raphaël Monticelli et Marcel Alocco à Saint-Paul-de-Vence, marque la formation du Groupe 70. Conçu dans la mouvance de Supports-Surface, on y trouve Louis Chacallis, Max Charvolen,Vivien Isnard, Serge Maccaferri et Martin Miguel.

Les Inclassables

En marge de ces tendances, on peut citer quelques personnalités avec, entre autres, Pierre Pinoncelli qui agita les esprits avec ses happenings subversifs, Marcel Alocco surtout connu pour ses compositions en patchwork, André Verdet qui avec poésie mêle l’idée, le mot et l’image, Gérald Thupinier et ses palimpsestes, Gilbert Pedinielli et ses lances, Robert Malaval et ses poussières d’étoiles, Bernart Venet seul peintre conceptuel, Jean Mas et les cages à mouches, Bruno Mendonca « le touche-à-tout » aux nombreuses interventions artistiques, Guy Rottier et ses architectures poético-futuristes, Bernard Taride et ses miroirs, Edmond Vernassa et ses œuvres cinoptiques, Ernest Pignon-Ernest et ses « interventions urbaines ». La liste n’est pas exhaustive. Il faut mentionner aussi Sacha Sosno, qui rallia l’Ecole de Nice à ses débuts et dont les sculptures relèvent de la citation et de la réinterprétation antique, oblitérées par le plein et le vide. Nivèse Oscari, installée à Nice depuis 1973 est la seule artiste féminine de l’Ecole de Nice. Avec ses œuvres découpées et son franc-parler, elle interpelle et dynamise le milieu.

Les décennies suivantes comptent de nombreuses individualités qui ne veulent s’appuyer sur aucune théorisation ou groupement. Citons Patrick Moya et son monde coloré au narcissisme assumé, d’inspiration BD. Aujourd’hui, il quitte souvent la réalité pour œuvrer dans le monde virtuel de Second Life.

La liste des acteurs de cette « aventure » ne saurait être complète sans rappeler le rôle fondamental joué par Frédéric Altmann. Photographe, critique et historien de l’Ecole de Nice, il a immortalisé, durant 40 ans, le monde de la création artistique méditerranéenne, à travers des milliers de clichés ; il en est la mnésie vivante. Sa collection unique de portraits et de moments de vie offre un témoignage incontournable. Et dire avec Ben que pour « comprendre la chronologie de la création à Nice, il va falloir passer par l’œil d’Altmann ».

A la lumière de ce balayage rétrospectif, on peut constater que, bien qu’aucune théorie synthétique ne puisse se dégager des travaux des membres fluctuants de l’Ecole de Nice, un état d’esprit frondeur et inventif pourrait en constituer l’approximatif dénominateur commun. Le renouveau à Nice, dans le milieu des années 1960, s’exprimait par le refus de tout ce qui existait, et mettait la vie comme « plus belle que tout ». La beauté comme valeur bourgeoise était honnie, position commune à ces différentes sensibilités.

La reconnaissance d’une Ecole de Nice

 Une légitimation difficile à Nice

A ses débuts, L’Ecole de Nice est  ignorée par les institutions culturelles, les critiques d’art, la municipalité. La reconnaissance des Nouveaux Réalistes se fait essentiellement à Milan, New-York ou Düsseldorf. Pourtant, à Nice, la créativité va bon train. Les Séries  d’Arman sont autant de variations sur le rapport à l’objet par l’expression quantitative. Martial Raysse exalte la joie de vivre, le soleil et les loisirs de la Côte d’Azur, décors de vacances aux couleurs saturées. Dans le bois laqué de Gilli, le bois coloré de Chubac, et plus tard le plexiglas de Fahri, s’affirment aussi les illusions chatoyantes traditionnellement attribuées au paysage azuréen. Avec la sensibilité du « tout est possible », Ben et les Fluxus  niçois investissent tous les lieux, les théâtres, la rue. Les concerts, les films, les performances se multiplient. Duchamp a signé l’objet, Fluxus signe la vie.

Dans cette région pourtant léthargique, les années 1950 voient une vie culturelle et artistique intense, qui s’inscrit dans des réseaux dynamiques locaux. Ces réseaux accompagnent l’Ecole de Nice tout au long de son développement : théâtre populaire, boutique de Ben, revues Identités et Open, autant de lieux qu’elle alimente et dont elle se nourrit.

Le Club des Jeunes, qui apparaît dès 1954, réunit artistes, poètes, professeurs. Parmi eux,  Marcel Alocco, Arman, Ben, Robert Malaval, Martial Raysse mais aussi Daniel Biga, Michèle Cotta, Jean-Marie Le Clézio, Jacques Lepage, André Verdet…jeunes artistes anti-art, jeunes poètes anti-poésie, jeunes idéalistes anti-romantiques. 

Avec Otto Hann, Jacques Lepage et Raphaël Monticelli, des pages d'écriture jalonnent le parcours de l’Ecole de Nice, les critiques s'engagent, la presse locale se fait l'écho de la mouvance.

En 1967, prenant enfin conscience de l'importance de ses artistes, la municipalité ouvre la galerie des Ponchettes à l'Art contemporain, par une exposition intitulée Trois de l'Ecole de Nice : Arman, Yves Klein, Martial Raysse. Jacques Lepage souligne « Nice est devenue le symbole d’une décentralisation vécue, puisque, pour la première fois dans notre tradition jacobine, un groupe, une « Ecole » se particularise assez pour renverser des habitudes maintenant séculaires. Aussi est-ce à juste titre que Nice leur accorde l’honneur de son musée. »

Mais cet aveu sera démenti, car tous les pouvoirs publics, les musées et les journaux nationaux continuent de manifester à leur égard une hostilité totale. Le critique d’art parisien, Pierre Restany fut sceptique, voire méprisant, envers eux, à l’exception de ses protégés : Klein, Arman, Raysse et César.

Si les avant-gardistes niçois n’ont guère eu le soutien des institutions locales, cela est en somme logique si l’on tient compte de l’absence de structures sérieuses réservées à l’art vivant, et de l’incompréhension quasi générale manifestée par les milieux culturels niçois. Ce n’est qu’après la venue de Claude Fournet que La Marine fonctionnera comme Galerie d’Art contemporain. Son arrivée à la Direction des Musées de Nice, en 1975, marque une véritable politique d’exposition des créateurs niçois dans leur ville. L’implication locale dans la création contemporaine sera renforcée par la présence de la Villa Arson, à statut national. Puis vint, en juin 1990, Le Musée d’Art moderne et d’Art contemporain, qui a réservé une salle dédiée à l’Ecole de Nice.

La consécration hors les murs

En 1977, l’exposition collective A propos de Nice inaugurant le Centre Georges Pompidou est enfin une sorte de reconnaissance parisienne. Dans la préface du catalogue, Pontus Hulten écrivait : « L’art contemporain n’aurait pas eu la même histoire sans les activités et les rencontres qui eurent lieu dans la région niçoise ». Il confie la préparation de l’événement à Ben. Sont réunies des œuvres de Marcel Alocco, Arman, Georges Brecht, Louis Cane, Louis Chacallis, Max Charvolen, Albert Chubac, Erik Dietman, Noël Dolla, Jean-Clause Fahri, Robert Filliou, Roland Flexner, Vivien Isnard, Yves Klein, Rotraut Mocquay-Klein, Serge Maccaferi, Robert Malaval, Jacques Martinez, Jean Mas, Martin Miguel, Serge III, Bernard Pagès, Patrick Saytour, André Valensi, Ben Vautier, Claude Vialat. On remarque que Nivèse n’était pas présente. Elle ne sera « admise » que plus tard. Même si d’autres noms s’ajouteront, cette liste servira de référence. Et les artistes niçois vont exposer de plus en plus dans les grands musées internationaux.

 Engagement des galeristes

Face au « désert » culturel qui persiste dans les années 1960-1970,  les membres de l’Ecole de Nice ont bénéficié du soutien de galeristes passionnés. Matarrasso les expose dans sa librairie, Ferrero dans son studio-galerie en 1970, et surtout d'Alexandre de la Salle qui réunit de nombreux artistes niçois, avec une exposition  collective à Vence en 1967. Il récidive 10 ans plus tard, dans sa galerie à Saint-Paul-de-Vence, avec Alocco, Arman, Ben, Chacallis, Chubac, Dolla, Fahri, Flexner, Gilli, Isnard, Klein, Malaval, Pinoncelli, Raysse, Venet, Verdet et Viallat. La plupart sont représentés dans une troisième exposition où Alexandre de la Salle joint Sosno, Serge III Oldenbourg. Pierre Restany écrira la préface de chaque catalogue des expositions commémoratives : en 1967,  École de Nice ?  (Point d’interrogation), en 1977,  École de Nice !  (Point d’exclamation) englobe les membres du groupe 70, en 1987,  École de Nice… (Points de suspension), ouvre sur la nouvelle génération, en 1997,  École de Nice. (Point final) avec 28 créateurs niçois. Mais ce point final ne fut pas symbolisé avec la même lisibilité que lorsque le Nouveau Réalisme fut dissout par son critique d’art et ses membres en 1970 à la Galerie Apollinaire de Milan.

Alexandre de la Salle a été de tout temps le fédérateur des membres de l’Ecole de Nice. Il fut le commissaire d’exposition de 1960-2010, Cinquante ans de l’Ecole de Nice, qui se déroula de juin à décembre 2010 au Musée Rétif à Vence. Tout en étant un panorama de l’Ecole de Nice, cette exposition se voulait de mettre un point final à son histoire.  Alexandre de la Salle revendiqua que «…tout ce qui naît doit mourir. C’est même indispensable. Car c’est au-delà d’un terme, d’une dissolution, que toute chose peut renaître à l’intemporel, à l’infini, pour dégager un sens ». L’Ecole de Nice fut donc « exécutée » par Pierre Pinoncelli, célèbre « happeninger » au Musée Rétif, en décembre 2010, à la fin de l’exposition. Cette dissolution, comme l’expliqua Alexandre de la Salle, n’étant que l’étape purement symbolique, nécessaire à l’entrée définitive de « L’École de Nice » dans l’Histoire.

L’Ecole de Nice et après…

Depuis le milieu des années 1980, le mouvement spécifiquement niçois semble s’être essoufflé. Effets de l’institutionnalisation ? Nécessité de bloquer médiatiquement et commercialement un label ? Impact des régressions idéologiques qui frappent l’Europe depuis 25 ans ? Ou, de façon plus optimiste, résultats de la décentralisation culturelle entreprise depuis 1982 avec prolifération des centres de création hors de Paris, ce qui fait que Nice n’est plus la seule référence face à la capitale. Néanmoins, les jeunes artistes continuent recherches et travaux,  et Nice demeure un vigoureux lieu de création.

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