Les chapelles peintes des Alpes-Maritimes

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Patrimoine longtemps méconnu, les chapelles peintes des Alpes-Maritimes suscitent, à juste titre, un regain d’intérêt depuis plusieurs décennies. Elles reflètent la vitalité de la région en matière d’art sacré, y compris dans les vallées de l’arrière-pays, pendant la période charnière du Moyen Âge et de la Renaissance.

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Une difficile traversée des siècles

Edifiées entre le milieu du XVe siècle et le milieu du XVIe siècle, les chapelles peintes s’égrènent le long des vallées du Var, de la Tinée, du Paillon ou de la Roya mais se retrouvent également de l’autre côté de la frontière italienne, en Ligurie et dans le Piémont. Souvent isolées dans des lieux aujourd’hui désertés, elles jouxtent au Moyen Âge des chemins très fréquentés - en particulier pour le transport du sel - et des villages animés par une importante activité agricole ou commerciale.

A de rares exceptions près, leur commanditaire est resté obscur : quelques actes notariés et inscriptions témoignent toutefois d’une origine populaire des commandes, faites pour la plupart par des communautés villageoises et assemblées de paroissiens. Quelques donateurs plus prestigieux échappent cependant à l’anonymat, comme un certain Pierre de Belletruche, vice-gouverneur du Comté de Nice, qui a financé la décoration de la chapelle Notre-Dame-del-Bosc à La Roquette-sur-Var.

Très nombreuses à l’origine, ces chapelles ont difficilement traversé les siècles : dans la région niçoise, une vingtaine d’entre elles seulement a conservé  jusqu’à nos jours son décor peint. Ces disparitions s’expliquent, en partie, par l’attitude de l’Eglise qui, après la Réforme catholique du XVIe siècle, juge les imageries populaires peu conformes aux nouvelles tendances artistiques : de nombreux édifices sont alors détruits ou utilisés comme grange tandis que les peintures murales se retrouvent couvertes d’un badigeon. Aux siècles suivants, des modifications architecturales - comme le percement de fenêtres et la surélévation de la nef à la chapelle Notre-Dame-des-Fontaines (La Brigue),  ou des « restaurations » malheureuses - ont également porté préjudice aux chapelles. Enfin, l’intérêt accordé à ce patrimoine s’est manifesté trop tardivement pour pouvoir empêcher les dégradations liées à l’humidité ou aux outrages des hommes.

Une architecture sobre, une décoration codifiée

Dimensions réduites, toiture à deux pans, plan rectangulaire, chevet plat…, les chapelles peintes des Alpes-Maritimes sont des édifices modestes que le passant peine parfois à distinguer d’une simple bergerie. Un campanile au-dessus de la façade permet d’identifier certaines d’entre elles mais la plupart ne possèdent même pas de clocheton. Parfois précédés d’un porche ouvert, formé par l’avancée de la toiture, ces édifices sont initialement dépourvus de mur d’entrée : ils constituent ainsi un refuge ouvert à tous, une halte bienvenue pour les voyageurs ou encore un abri utile en cas d’intempérie.

L’intérieur, généralement recouvert d’une voûte en plein cintre ou en berceau brisé, éventuellement d’une croisée d’ogives au niveau du chœur, est abondamment décoré malgré l’absence de sculptures et vitraux : des peintures murales occupent, en effet, la totalité des surfaces disponibles. Elles se développent dans l’espace de manière assez codifiée ; le saint patron du lieu occupe toujours le chevet, c’est-à-dire la place d’honneur ; sur la voûte et les murs latéraux se déploient, sur deux ou trois registres, des panneaux de scènes narratives qui constituent une véritable bande dessinée destinée à un public souvent illettré ; des bandes simplement colorées ou formées de motifs décoratifs encadrent ces panneaux ; enfin, le bas des murs est occupé par diverses représentations visant à entretenir la foi des fidèles, ou par de simples tentures.

A l’exception de la chapelle Saint-Sébastien à Coaraze, peinte à fresque, la décoration est réalisée à la détrempe en plusieurs couches, une technique plus simple à mettre en œuvre. Les pigments broyés sont liés à la colle et appliqués sur un enduit sec, ce qui permet d’effectuer des retouches. Assez réduite, la palette repose sur trois couleurs de base : l’ocre jaune, l’ocre rouge et le gris ardoise, auxquelles s’ajoutent le blanc de chaux et, plus rarement, le vert et le bleu, très onéreux. 

Entre archaïsme et raffinement

Attribuées à des peintres, que l’on a appelés sans distinction « Primitifs niçois », ces chapelles présentent des qualités d’exécution extrêmement variables.  Certaines réalisations, généralement restées anonymes, affichent un style populaire, naïf, voire maladroit. Ainsi, dans la chapelle Saint-Sébastien de Roubion, des personnages, souvent très statiques et aux proportions déconcertantes, sont représentés dans un décor simplifié. Une gamme de couleurs, extrêmement économe, essentiellement fondée sur le marron et le gris vert, ajoute encore à l’impression de simplicité.

Cas de figure un peu différent, les peintures d’Andrea da Cella, artiste actif dans la première moitié du XVIe siècle, affichent un certain archaïsme dans le traitement des personnages mais se distinguent par la qualité et la précision des éléments décoratifs, architecturaux ou végétaux.

Enfin, deux peintres d’origine italienne, restés célèbres, manifestent un talent incontesté. Le premier, Giovanni Baleison, travaille à la fin du XVe siècle en Provence, dans le Piémont et en Ligurie. Auteur de la décoration des chapelles Saint-Sébastien de Venanson et de Saint-Etienne-de-Tinée,  signées l’une et l’autre par le maître, il est probablement intervenu dans de nombreux autres lieux, en particulier à Lucéram et à La Brigue. Rattachée au courant tardif du gothique international,  sa peinture se caractérise par le raffinement des représentations humaines, l’attention minutieuse aux détails et une grande impression de sérénité. A l’inverse, Giovanni Canavesio, surnommé le « chapelain de Pignerol » en raison de sa fonction cléricale,  développe surtout l’aspect dramatique des scènes par la torsion des corps, l’impression de mouvement, la souffrance des physionomies … Peintre de la chapelle des Pénitents blancs à Peillon, il collabore avec Baleison à La Brigue (Notre-Dame-des-Fontaines) et à Saint-Etienne-de-Tinée (chapelle Saint-Sébastien).

Un programme iconographique chargé d’intentions

Inspirées des Evangiles mais aussi des textes apocryphes ou encore de la Légende dorée de Jacques de Voragine, les peintures murales illustrent, sous forme de panneaux juxtaposés, trois thèmes principaux. Tout d’abord la vie de Marie, que déclinent plusieurs chapelles placées sous le patronage de la Vierge comme Notre-Dame-de-Bon-Cœur à Lucéram ou Notre-Dame-de-Protection à Cagnes-sur-Mer. Ensuite la Passion du Christ, représentée de manière magistrale par Giovanni Canavesio sur les murs latéraux de la chapelle Notre-Dame-des-Fontaines à La Brigue. Enfin, la vie des saints, en particulier celle de saint Sébastien très honoré dans la région : à Venanson, Roubion, Saint-Etienne-de-Tinée …

Destinées à enseigner par l’image l’histoire religieuse aux populations rurales de l’époque, ces peintures poursuivent d’autres buts. Elles visent également à soutenir, voire ranimer, la foi des fidèles en représentant les vices et les vertus ou encore la vie juste que doivent mener les chrétiens. Ainsi, dans les chapelles Notre-Dame-du-Bon-Cœur de Lucéram et Saint-Sébastien de Venanson, sont figurées « la bonne et la mauvaise prière » : la première, désintéressée, touche le Christ sous forme de rayons lumineux, tandis que la seconde, motivée par des satisfactions terrestres, ne parvient pas à l’atteindre.

Ces chapelles ont pour mission, par ailleurs, de protéger la société, alors très affectée par divers fléaux comme les guerres, les famines ou les maladies contagieuses. Véritable rempart contre ces calamités, elles garantissent aux habitants du lieu la protection de leur saint patron : saint Grat pour les récoltes, saint Sébastien contre la peste venue de la mer, ou encore saint Antoine contre le « mal des ardents ». Un moyen comme un autre d’échapper aux malheurs du siècle !

Bibliographie

- Bourrier-Raynaud Colette et Michel, Les Chemins de la tradition : chapelles et oratoires au cœur du haut-pays niçois, Serre éditeur, 1985

- Leclerc Germaine-Pierre, Chapelles peintes du pays niçois, Edisud, 2003

- Lorgues-Lapouges Christiane, Trésors des vallées niçoises, Serre éditeur, 1995

- Roque Paul, Les Peintres primitifs niçois, Serre éditeur, 2001

- Roque Paul, Notre-Dame des Fontaines, Serre éditeur, 2009

- Roques Marguerite, Les Peintures murales du Sud-Est de la France, édition Picard, 1961

- Thévenon Luc, L’Art du Moyen Âge dans les Alpes méridionales, Serre éditeur, 1983

- Willemin Michel, Les Chapelles peintes de Lucéram, Serre éditeur, 2001

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