Le musée de la Photographie André Villers de Mougins

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Le Musée de la Photographie André Villers doit son existence à la donation de photographies que fît l’artiste à la ville, et à l’implication de celui-ci dans la programmation des expositions lors de sa création. Grâce aux belles amitiés qu’il a su entretenir avec des photographes aussi renommés que Robert Doisneau, Jacques Henri Lartigue, Lucien Clergue ou encore David Douglas Duncan, il a su obtenir de ces derniers des donations de photographies dont le sujet principal est un personnage proche de Mougins : Pablo Picasso. La collection permanente de ce musée retrace cette histoire.

André Villers, Pablo Picasso, Mougins : destins croisés

L’histoire de Mougins est empreinte de Pablo Picasso, l'artiste qui a façonné la création artistique du XXe siècle. En effet, c’est à Mougins qu'il résida durant les treize dernières années de sa vie, entre 1961 et 1973.  Le Mas Notre Dame de Vie a été le théâtre de sa prolifique et dernière production.

Plus tôt dans son existence, au moment où le monde commençait à se déchirer et qu’éclatait la Guerre Civile espagnole, Mougins est un havre de paix pour le peintre espagnol ; il y résida dans un hôtel, le Vaste horizon, dont il louait toutes les chambres, durant les étés 1936 et 1937.

André Villers, né en 1930, est à l’origine du lien qui unit Pablo Picasso, Mougins et la photographie. Originaire de Beaucourt, dans le Jura, il fut touché à l’âge de vingt ans par une maladie douloureuse et extrêmement handicapante : la tuberculose osseuse. Il dut alors se résoudre à quitter sa région natale pour se faire soigner au centre héliomarin de Vallauris. Il y séjournera huit ans.  Comme souvent dans une destinée, une rude épreuve s’accompagne d’un bonheur dissimulé dans une démarche que l’on accomplit. Pour André Villers, ce fut la découverte et l’expérimentation de la photographie. Désormais, il ne quittera plus son appareil photo.

La rencontre d'André Villers avec Picasso

La première rencontre avec Pablo Picasso eut lieu en 1953. Dès la première entrevue, une relation de confiance et de respect mutuel s’instaure. Quelques instants furent suffisants pour que les prises de vue se réalisent. Le jeune photographe, conscient de l’importance de cette rencontre, développa aussitôt les négatifs. Les premiers clichés sont des portraits de Pablo Picasso, à contre-jour, tendant la main au photographe. Cette image résume le tournant de la vie d’André Villers, révélatrice de l’étroite collaboration qui suivit ce moment fondateur.

Le fait de côtoyer un si grand artiste a influencé l’art photographique d’André Villers. Jusqu’à 1953, André Villers s’inscrivait dans le courant dit humaniste de la photographie, à l’instar de Robert Doisneau ou Jacques-Henri Lartigue. Il s’intéressait alors aux sujets de rues, captant des scènes de la vie de la vie quotidienne, "portraiturant" des personnages "forts en gueule" attablés dans un café, immortalisant des enfants jouant dans la rue.

Picasso : artiste et modèle de génie

Avec Picasso, sa démarche fut autre. En effet, comme il le dit lui-même, ses photographies de Picasso sont quasiment des autoportraits de l’artiste. Ceci n’est pas étonnant lorsqu'on connaît l’œuvre de Picasso. Portraitiste de génie, Pablo Picasso était un modèle idéal pour un photographe. Il lui était très facile de passer du côté pile du tableau au côté face de l’objectif. D’instinct, il savait comment se positionner, quelle expression donner à son visage.

Robert Doisneau, dans son ouvrage A l’imparfait de l’objectif, résume très bien cette attitude de Picasso face aux photographes :

« Avec Picasso, c’était facile, il lui suffisait de lui tendre un accessoire, il improvisait immédiatement un pas de deux. Un carré de tissus, une branche de palmier ramassés dans le bric-à-brac des ateliers et on avait devant soi un toréador ou un pharaon. (…)

 Comme Buster Keaton, Babilée ou Maurice Baquet, il connaissait l’art de poser ses pieds selon un angle précis, "prise de terre" à partir de laquelle poussent les gestes qui occupent l’espace de façon harmonieuse, avec ce regard hypnotiseur qu’on lui connaissait depuis l’épisode de la "mèche noir et de l’imperméable fripé".

André Villers a photographié plusieurs Picasso. Le Picasso de l’intimité, dans ses tendres rapports avec les femmes qui ont partagé son existence ; Pablo, Françoise Gillot, puis son ultime épouse Jacqueline Roques,  sont captés dans leur quotidien en compagnie de leurs enfants. Et puis il y a le Picasso de l’amitié, entretenant des rapports étroits, parfois ambigus, avec des personnages comme Jean Cocteau ; le Picasso des camaraderies poétiques avec Jacques Prévert. De la personne au personnage public, il y a un pas que Picasso franchit avec beaucoup d’aisance.

À Vallauris, pour son anniversaire, Picasso décida d’organiser une corrida. C’est toute une ville qui se mit au diapason du « Minotaure », ce qui donna lieu à des fêtes aujourd’hui encore ancrées dans les mémoires. Autant de prétextes pour André Villers à prendre des clichés. Il y a aussi et surtout le Picasso créateur, l’homme au travail. Peu de photographes ont eu le privilège de partager ces moments avec le peintre. Ce fut le cas d’André Villers, qui y eut maintes occasions de parcourir de son regard les différents ateliers de l’artiste, à Cannes, à Vallauris, à Mougins. L’univers artistique du peintre prend une autre dimension avec l’œil d’André Villers. La production prolifique du peintre espagnol se déclinait en d'anciennes réalisations dont il ne voulait pas se séparer, aux travaux en cours, aux objets et autres œuvres données par ses amis. L'ensemble émergeait au milieu des matériaux de récupération qu’il utilisait pour réaliser des sculptures. Son univers était si singulier qu’il ne fallait qu’un coup d’œil pour prendre conscience qu'il s'agissait d’un des plus grands artistes du XXe siècle.

Peinture, photographie et cinéma : les univers explorés par Picasso
On connaît le talent de Picasso pour le dessin, la peinture, la sculpture et la céramique, mais un univers très méconnu de l’artiste espagnol existe. Dès 1901, en plein période bleue, Picasso produisit de nombreuses expériences photographiques. Alors que ce mode d’expression en était encore au stade des balbutiements, il parvenait à marier ses œuvres picturales aux clichés qu’il réalisait dans un jeu surprenant de surimpressions.
Il utilisait également la photographie pour enregistrer les différentes phases d’achèvement d’une peinture. Dans certains de ces portraits peints, en pleine phase d’expérimentation du cubisme, se retrouvent des éléments très fortement inspirés de clichés. Cet attrait pour la pratique photographique trouvait un écho dans une sympathie toujours renouvelée avec ceux qu’il considérait comme de grands photographes. On connaît son idylle avec la photographe Dora Maar, dans les années 30. Elle était d’ailleurs présente à Mougins durant l’été précédant la réalisation de l’une des ses toiles les plus célèbres, « Guernica ».Tous deux ont expérimenté les techniques unissant la gravure et la photographie. À Mougins en 1936, était également présent Man Ray, l’inventeur du photogramme qui a fait entrer la photographie dans le monde surréaliste.
Avec Gjon Milli, il s’adonne au « space writing », autre invention de Man Ray qui consiste à dessiner dans l’espace avec un stylet lumineux et à enregistrer photographiquement le motif obtenu par le déplacement de la main. La pose longue rend possible cet enregistrement.
Entre Picasso et le photographe arlésien Lucien Clergue, c’est la passion commune de la corrida qui rend possible les prises de vues et le compagnonnage artistique.
Ces quelques exemples montrent le grand intérêt que Picasso a pu porter pour ce mode d’expression, en tant que praticien et modèle.
Picasso et le cinéma
Un domaine artistique manque au registre très étendu de la création chez Picasso, le cinéma, bien qu'une de ses rares collaborations au 7ème art fut un succès artistique. 
En 1955, le cinéaste Henri Georges Clouzot réalise le Mystère Picasso, dont le tournage a lieu dans les studios de la Victorine à Nice. L’innovation de ce film se situe dans le procédé permettant d’observer directement l’artiste à l’œuvre par transparence ; ce qui n’avait pas encore été réalisé jusqu'alors. La démarche créatrice de Picasso est en adéquation avec ce concept. L'œuvre se crée et se transforme au cours de sa réalisation, un visage est à tout à coup recouvert d’un à plat noir, devient poisson, qui lui même devient oiseau…Ce processus d'hybridation créative se retrouve quand Picasso se déguise en Landru ou Popeye.
André Villers était présent sur le tournage et a pu profiter des extraordinaires conditions de lumière sur le plateau de tournage. Il a su capter toute la tension inhérente au tournage d’un film. Les prises de vue étaient très limitées ; il s’agissait donc pour Picasso de donner le meilleur de lui même en un instant défini.
Diurnes ou le point d’orgues d’une collaboration

Le travail des deux artistes va au-delà de la simple relation modèle – photographe. 
En 1961, l’éditeur Heinz Berggruen publie  Diurnes dont les auteurs sont Picasso et Villers pour l’œuvre plastique et Jacques  Prévert pour les textes. Picasso donna à André, un petit faune (personnage mythologique) retranscrit sur papier découpé et il lui demanda de  l’exploiter à sa guise. Villers le photographia dans différentes mises en scène, ce qui donna l’idée à Picasso d’approfondir cette aventure artistique.
André prenait les clichés ; Pablo les découpait ; André achevait le travail en laboratoire. 
Il sensibilisait du papier photographique sur lequel il disposait les œuvres découpées et agrémentaient celles-ci de pâtes, riz, ou d'étoffes. Le développement et le tirage final homogénéisaient le tout.

Le résultat de ce travail est surprenant ; il illustre la parfaite connivence de deux hommes travaillant en symbiose, chacun dans son domaine de prédilection, ouvrant des passerelles insoupçonnées de ces modes d’expression.

Lors d’une de ses premières rencontres avec André Villers, Picasso lui avait financé l'achat d'un appareil photographique à la hauteur du talent de son ami. Il lui permit de changer sa manière de voir les choses, de faire évoluer sa photographie. Il lui donnait également accès à un monde artistique, qui, ultérieurement, considèrera comme un privilège le fait de se faire photographier par André Villers.

André, Pablo et les autres…

Beaucoup de personnalités du monde de l'art, des années 1950 jusqu'à aujourd'hui, ont échangé leur regard avec le photographe. Le monde de la peinture prend une place prépondérante au sein de cette galerie de portraits : Salvador Dali, Max Ernst, Juan Miro, Fernand Léger, Jean Cocteau font partie des grandes figures historiques, représentatives du génie pictural qui a animé le XXe siècle. D'autres artistes ont pris une grande place dans le cœur du photographe : les sculpteurs Giacometti ou César, les poètes Léo Ferré ou Michel Butor, Arman, Ben, Robert Combas. La musique n’est pas en reste ; Pierre Boulez, Duke Ellington, le pianiste Hans Richter ont pris la pause, en pleine représentation ou dans l’intimité. Plus que les hommes, plus que les amis, Villers a photographié le rapport à l'art qu'il entretenait avec son modèle de l'instant. Une passion commune, une raison de vivre, le vecteur de toute une existence. Celle d'André Villers est un parcours à travers l'art du XXe siècle. L'ombre des sculptures de Giacometti qu'il réussit à enfermer pieusement dans son boîtier, le mèneront jusqu'à Aragon, qui utilisa les clichés de "l'Homme qui marche" pour illustrer, dans les Lettres Françaises, les textes qu'il écrivit sur Lautréamont.

Parfois, le hasard voulut que deux illustres personnages coexistent sans le savoir dans le même film. C'est ainsi que ce même Aragon attendait d'être révélé à la lumière du jour en compagnie d'un certain Jacques Prévert, avec qui Villers a entretenu une durable amitié.

"Connaissant Prévert depuis quelques mois, j'ai été ravi de l'entendre dire à une personne à qui il montrait mes images: "il fait de belles photos, maintenant André". Chez lui, cité Véron, à Paris punaisées, des photos… une  de Doisneau, une de Boubat et aussi parfois des collages de Jacques sur des photos, quelques fois sur les miennes… Prévert ne pouvait s'empêcher de participer et les idées jaillissaient: "Tu pourrais faire comme ça… tu devrais faire cela, tu ne penses pas que ce serait mieux avec ça?" C'était pareil avec Picasso".

Chaque rencontre avec les grands hommes fut le théâtre silencieux de l'enregistrement photographique. André Villers aime ce silence afin d'en appréhender le plus profondément la teneur de l'instant. Au cours de la prise de vue, contrairement à la technique classique du portrait, il attend patiemment que son modèle fixe l'objectif, il parvient ainsi à capter toute l'intensité du regard afin de puiser dans l'autre une intériorité qui ne se révèle véritablement qu'une fraction de seconde. Dans la fixité bouillonne alors l'esprit ; la sensibilité s'exacerbe et affirmer que les artistes sont les êtres qui en sont le plus animés devient un euphémisme.

Une sincère et véritable osmose s'opère quand les artistes prennent la pose, en relation directe avec leur création, avec ces objets pour lesquels ils vouent toute leur énergie.
Il faut voir comment Jean Arp épouse de ses bras protecteurs sa sculpture tout en rondeur, comment Jiri Kolar affronte sa forme ovoïde. Au détour de ces clichés, nous avons la possibilité de partager la grâce entourant Anton Prinner, plongé dans la pénombre, simplement éclairé par le rayonnement de ce personnage féminin qu'il a façonné. Nous devinons et comprenons à cet instant ce que peut être l'amour, qui se diffuse dans chacun des actes créateurs, devenant presque idolâtrie, une fois l'œuvre achevée.

La force de ces moments est très nettement amplifiée par le contraste que l'alchimiste sait insuffler à ses tirages. Les noirs devenant plus sombres que la nuit, afin que puissent être éclairés au mieux ces visages lumineux. Certaines de ses photos resteront à jamais des icônes conférant un visage à une œuvre. On pense à Le Corbusier, l'architecte visionnaire dont les lunettes sur le front ont déjà fait le tour du monde. On pense aussi au pinceau d'Hartung dressé devant le visage du peintre en pleine concentration, avant de se jeter dans sa création.

Au delà de la figure humaine

C'est dans son atelier, après l'instant décisif de la prise de vue, que le photographe s'adonne à ses expérimentations sur le médium. Inlassablement, depuis plus de cinquante ans, André Villers prend quotidiennement rendez-vous avec la magie de la chimie. De jets de révélateur en photogrammes, de pliages d'ombres en collages, André Villers a intégré  l'univers de la photographie dite plasticienne qui reprend aux autres arts et plus particulièrement à la peinture, certaines de ses techniques. La rencontre avec Picasso a indéniablement créé un choc, qui le mena sur le sentier de la découverte de nouvelles approches visuelles. Des découvertes qui font de lui, comme le souligne si justement Frédéric Ballester "un des grands poètes de l'image photographiée". Reprenant avec sa griffe personnelle, certaines techniques élaborées en son temps par Man Ray, Villers, par l'intermédiaire de ses photogrammes, intègre des éléments  matériels à ses portraits, imprimant une matérialité inattendue aux portraits qu'il réalise. Ainsi, la figure de César, artiste de la matière brute par excellence, se mêle-t-elle aux spaghettis que le photographe a disposés sur le papier sensible. La silhouette de Claude Viallat, chantre du mouvement "Support Surface", apparaît au sein de motifs abstraits.

Quand la figure humaine n'apparaît pas, c'est l'œuvre qu'il valorise. Ainsi, le photographe a-t-il pris un plaisir particulier à mettre en forme les poèmes de Michel Butor dont il a toujours admiré les écrits.

Voici résumée l’histoire de cette collection que le musée a la chance de mettre à disposition du public. Elle coexiste avec les expositions temporaires organisées tout au long de  l’année, mettant à l’honneur des photographes de renom comme des talents en devenir.

Lexique

Cliché : Phototype négatif servant au tirage des épreuves.

Cubisme : Mouvement esthétique (début du XXe s.) dont les œuvres tendaient à représenter la réalité par l'intermédiaire de formes géométriques, plus spécialement d'images de cubes.

Hybridation : État de ce qui a une origine, une composition disparate et surprenante

Icône : Une icône culturelle est une figure emblématique qui joue un rôle essentiel dans la construction et le maintien de l’imaginaire social et de l’identité collective. Ce peut être un symbole, un logo, une photographie, une personne, un nom, un bâtiment ou encore une image. Cette icône est facilement reconnaissable et représente généralement un objet ou une idée qui a une signification importante pour un large groupe culturel.

Médium : Substance se situant entre diluants et liants, destinée à être mélangée aux peintures et aux encres, afin de les allonger en leur conservant leurs qualités colorantes et siccatives

Ovoïde : Qui a une forme semblable à celle d'un œuf

Photogramme : chaque image isolée d’un film

Pictural : De (la) peinture; qui est propre à la peinture

Révélateur : en photographie, produit chimique, généralement en solution, utilisé pour rendre visible l'image photographique latente

Surimpression : impression de deux ou plusieurs images sur une même surface sensible

Symbiose : association étroite et harmonieuse entre des personnes ou des groupes de personnes

Vecteur : Ce qui transmet quelque chose

Informations pratiques

Porte Sarrazine - Mougins village.

http://www.mougins-tourisme.fr/fr/content/le-mus%C3%A9e-de-la-photographie-andr%C3%A9-villers-0

Entrée libre.

Tél. : 04 93 75 85 67

Email : museephoto@villedemougins.com

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