Parcours Jean Cocteau et la Côte d’Azur

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L'arrivée

Cocteau a construit une relation privilégiée avec la Côte d’Azur tout en étant de passage. Ces passages répétés sont indissociables de la construction de sa personnalité comme de son œuvre.

Dans le Midi, il se rattache d’abord à la catégorie des hivernants d’avant la première guerre mondiale, de la Belle Epoque. Au cours de son premier séjour en 1911, à l’Hôtel du Cap, près de Menton, il croise l’Impératrice Eugénie. L’hôtel où la villégiature devient une étape majeure de son parcours est Le Welcome, à Villefranche : il s’y réfugie en 1923, après la perte de l’être aimé, Raymond Radiguet. « Ici j’essaye de vivre ou plutôt j’essaye d’apprendre la mort que je porte en moi.1» De la ville de Nice, il écrit  qu’elle est une ville « rassurante ». La Riviera avec un climat réputé salutaire, dans la tradition du XIXe siècle, est pour lui un lieu de convalescence. Il vient se soigner sur la Côte d’Azur, même si, paradoxalement, il s’y met en danger par une pratique répétée de l’opium.

A l’exception de Monaco, où il fait l’acquisition d’un appartement, ses séjours sur la Côte se déroulent aussi chez des amis, en tant qu’un invité. Ainsi, va-t-il se reposer chez les De Croisset à Grasse. C’est ensuite Coco Chanel qui l’accueille à Roquebrune-Cap-Martin. A partir de 1950, il se rend chez Francine Weissweiller au Cap-Ferrat, à la villa Santo Sospir, et il revient durant  près de dix ans en ce lieu dont il a pu dire qu’il s’y trouve « comme chez lui »1.  Lui qui a aimé peindre les gens du voyage, comme sur les murs de la salle des mariages de Menton, partage avec les gitans le goût d’une vie en mouvement. Sur la Riviera, les nombreux départs sont suivis de presqu’autant de retours2.Cette attraction est le pendant d’une certaine répulsion à l’égard de Paris et de son milieu artistique.

1 Raoul Mille, Ma Riviera, t. III, p. 129.

2 Mario Franchini, Sur les traces de la Modernité, de Menton à Saint Tropez : vagabondages  parmi les sanctuaires de l’art du XXème siècle sur la Côte d’Azur.  Ed Melis, Nice, 2000, p. 115.

Rencontres

Cocteau a plaisir à participer aux réjouissances de la société aristocratique et artistique pendant une période allant de la Belle Epoque aux Trente Glorieuses en passant par les Années folles. Le mondain, à propos de qui on disait « un cocktail, des Cocteau » participe aux multiples réceptions. Ainsi, il est proche des Gould à Juan-les-Pins.

Il s’intègre dans un milieu en effervescence où les artistes se croisent, se fréquentent, échangent et collaborent. On peut citer ses relations avec des musiciens ; le travail avec Igor Stravinsky débouche sur le livret d’Oedipus-Rex. Il est le compagnon du compositeur Georges Auric. Il collabore avec Diaghilev aux ballets de Monte-Carlo ; il est l’ami de la danseuse Isadora Duncan. Il est proche des peintres comme Picasso. Dans les années 1960, il peint à quatre mains avec Raymond Moretti, un jeune artiste de la région, aux studios de la Victorine.

Espaces

Cette géographie sociale et artistique se double d’une géographie de la découverte du pays. L’esthète y savoure la beauté des paysages, la puissance de la lumière, la richesse des senteurs. Cette existence le nourrit, le construit comme le montrent les nombreuses évocations de ses séjours sur la Côte  d’Azur dans ses écrits biographiques et dans ses œuvres. 

La Riviera est un lieu de séjour où Cocteau ne se contente pas de lézarder sous le soleil. Les sens en éveil, la puissance créatrice exacerbée, Cocteau travaille. Plus qu’un  lieu de séjour, la Côte d’Azur est pour Cocteau un lieu de création, une création multiforme. Il écrit et pour se reposer d’écrire, il dessine et il peint. Les espaces investis par Cocteau ne peuvent être réduits à un simple environnement-décor. Ils jouent un rôle, sont un catalyseur par lequel l’homme révèle l’artiste. Il y puise son inspiration. « C’est à Villefranche-sur-Mer que j’ai enfin trouvé ma mythologie personnelle. 3 »

L’artiste polymorphe a sans doute aussi rêvé d’être architecte tant il entretient avec l’espace une relation privilégiée. En décorant la chapelle de Villefranche [g1] à partir de 1956, Cocteau rejoint le cercle de ces artistes qui, comme Picasso à Vallauris ou Matisse à Vence, investissent un lieu sacré. A Menton, c’est à une commande officielle qu’il répond quand il décore la salle des mariages.  Dans la villa de Francine Weissweiller, il fait  un travail de « tatoueur », comme sur la peau d’un être vivant.

3 Entretiens avec André Fraigneau, cité par Jacques Biagini, Jean Cocteau de Villefranche-sur-Mer, Ed. Serre, Nice, 2007, p. 7.

La chapelle Cocteau, Villefranche-sur-Mer

En 1957, après de nombreux séjours à l’Hôtel Welcome de Villefranche-sur-Mer, Jean Cocteau entreprend la décoration de la chapelle Saint-Pierre, en signe d’amitié envers les pêcheurs du village, propriétaires de la chapelle. Aujourd’hui, ce lieu peut être visité. On peut y voir des scènes inspirées de la vie méditerranéenne locale ainsi que des épisodes de la vie de saint Pierre, patron des pêcheurs. 

La salle des mariages de l’Hôtel de Ville de Menton par Jean Cocteau

En 1958, Jean Cocteau réalise le décor de la Salle des Mariages de la mairie de Menton. Cette œuvre sera le point de départ d’une série de projets de l'artiste dans la ville de Menton : la restauration et la décoration du bastion en bord de mer, la réalisation d’une fresque dans le bureau du maire, ou encore une série de pastels représentant les amoureux mentonnais.

L'artiste touche-à-tout, théâtre, cinéma

Cocteau est touche-à-tout ; il se fait céramiste, mosaïste, s’adonne à l’art du vitrail, dessine des costumes, réalise des cartons de tapisserie, comme celui de Judith et Holopherne. Dans un territoire où les métiers d’artisanat d’art ont une place privilégiée, Cocteau se sent chez lui. Dans cet espace de liberté, il sait abandonner le costume élégant pour endosser celui de l’homme ordinaire, en pantalon de pêcheur, tricot de marin, béret et sandales4. Il aime aussi à se dévêtir au soleil. A d’autres reprises, il sait endosser des costumes pour jouer des scènes de composition.

Homme de théâtre, acteur, dramaturge, il trouve dans la topographie de la baie de Villefranche ou de celle de la baie des Anges un théâtre antique géant dont la scène donne sur la mer. Dans un jeu d’échelles emboîtées, il choisit à Cap d’Ail le site du centre méditerranéen pour concevoir un théâtre, construit entre 1957 et 1958. Homme de cinéma,  il est un homme en mouvement adepte de l’image en mouvement. La Côte d’Azur est aussi le décor qu’il donne à ses films. Il sait se laisser séduire par la magie de certains lieux qu’il intègre dans ses fictions comme la rue obscure de Villefranche ou les carrières des Baux-de-Provence pour Le testament d’Orphée. Il s’appuie aussi sur les ressources offertes par les studios de la Victorine à Nice. Il transcende son quotidien en tournant dans la villa Santo Sospir. Son film La Belle et la Bête est présenté au festival de Cannes en 1946. Lui-même n’hésite pas à s’impliquer dans l’organisation du festival, en tant que président du Jury, à trois reprises, en 1953 et 1954 puis en 1957 comme président d’honneur.

Cet espace méditerranéen lui a ouvert le temps des mythologies. Il revisite l’Antiquité, l’actualise jusqu’à la projeter dans les avant-gardes de la création. Le tournage du Testament d’Orphée annonce le travail des vidéastes. Villes antiques et villes d’aujourd’hui, Menton est relié à Cnossos...5 Ses œuvres contribuent à façonner l’image d’une Riviera terre de création artistique. Il donne aux villes qu’il aime. A Nice, il offre une crèche.  Dans le village de Coaraze, le cadran solaire au lézard, qu’il installe sur la façade de la mairie en avril 1961, ouvre la voie à d’autres artistes.

4 Nice Matin, 12-8-1951.

5 Celia Bernasconi, Musée Jean Cocteau, collection Séverin Wunderman, Ed. Schnoeck, p. 50.

Une icône de la Côte d’Azur

Si Cocteau a puisé son inspiration aux sources de cette terre, sa présence a, en retour, contribué à façonner la Côte d’Azur. Il renforce l’aura de cet espace en attirant d’autres artistes et l’on a pu dire que grâce à Cocteau, le petit port de Villefranche était pratiquement le « centre du monde » culturel en Europe6. Loin de s’enfermer dans quelque tour d’ivoire, l’artiste  participe activement à la vie culturelle. On ne compte plus les événements qu’il préside et dans lesquels il s’implique en créant des illustrations, comme pour l’affiche du festival de musique de Menton. Les liens tissés avec les lieux nourrissent son identité. De Nice il dit « j’y suis né à vingt ans ». En 1953, Jean Médecin, le député-maire en prend acte et lui remet un certificat de naissance d’honneur7. En 1956, il est fait citoyen d’honneur de Menton puis en 1960, de Saint-Jean-Cap-Ferrat.

Il n’est plus à démontrer combien la Riviera a été pour Cocteau une terre de création privilégiée. En faible écho, ses œuvres ont fait l’objet, en février 1953, d’une exposition à Nice, à la galerie municipale des Ponchettes. Il expose également dans des galeries privées, comme en 1957 chez Henri Matarasso à Nice. Au-delà d’une présentation éphémère de quelques facettes de son œuvre, des lieux ont inscrit le lien fort et durable  entre Cocteau et la Côte d’Azur Les travaux du premier musée qui lui est consacré  à Menton sont commencés de son vivant, dans le vieux bastion qui se dresse face à la mer. L’artiste lui-même y travaille. Un autre établissement, œuvre de l’architecte Rudy Ricciotti, est ouvert depuis 2011.

Cocteau est devenu une icône de la Côte d’Azur. Il incarne pêle-mêle ses mondanités, son pouvoir créatif  et sa modernité. Il est entré dans la légende de cette terre dont il a contribué à construire  l’image.

Le Musée Cocteau, collection Séverin Wunderman, Menton

Le musée Jean Cocteau Collection Séverin Wunderman a été conçu par l’architecte Rudy Ricciotti pour la ville de Menton. Ouvert au public depuis novembre 2011, le musée présente sur près de 2700m², la plus importante collection publique consacrée à l’œuvre de Jean Cocteau. 

6 Jacques Biagini cite Francis Rose dans, Jean Cocteau de Villefranche-sur-Mer, Ed. Serre, Nice, 2007, p. 8.

Nice Matin, 10 février 1953.

Lexique

Belle-époque :
« La Belle Époque, ces quatre décennies d’une beauté étourdissante entre la guerre franco-allemande et la Première Guerre mondiale, fut une foire surabondante de l’amusement, et son centre, le symbole de sa survie, était la ville Lumière, la métropole Paris. Les Nouveaux Riches, les Barons de l’industrie, les Banquiers, les Seigneurs du commerce mondial et de l’Exposition universelle démontrèrent au monde, à l’apogée euphorique de l’ère industrielle, qu’on pouvait tout avoir avec l’argent, et que parmi les accessoires du plaisir, deux choses surtout étaient à vendre : l’amour et l’art. »
François Malherbe, La Belle Époque, p. 35

Trente Glorieuses

Période de prospérité sans précédent qui dura de 1946 à 1975, la France connait un bouleversement majeur de ses structures démographiques, économiques et sociales.

Années folles

1919-1929

Les Années folles est le nom donné à la période des années 1920, d’une grande vitalité intellectuelle et culturelle. Ces années se caractérisent par un désir de liberté et de joie de vivre,  à la sortie des 5 années de la Première Guerre mondiale marquées par le conflit, les difficultés économiques et la censure. Les Années folles sont surtout un phénomène culturel, avec pour centre le quartier de Montparnasse à Paris, où écrivains, poètes, peintres, sculpteurs, photographes se côtoient. C’est aussi l'essor de la presse, de la radio et du cinéma.  

C’est le style Art déco, le Jazz, le surréalisme, Ernest Hemingway, Joséphine Baker, Coco Chanel.

Les Années folles se terminent avec la grande crise de 1929.

Dramaturge : auteur de pièces de théâtre.

Ephémère : qui dure peu de temps.

Esthète : personne qui considère l’art comme une valeur essentielle.

Polymorphe : qui offre des apparences, des formes diverses.

Topographie : configuration d’un lieu.

Villégiature : Séjour de repos à la campagne, au bord de la mer, à la montagne, dans un lieu de plaisance ou de tourisme.

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